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L’ILLUSTRATION THÉÂTRALE

Lupin, tout en dictant, il s’est approché de la valise et, constatant qu’elle n’est pas fermée, il inspecte Boursin. — Pourquoi pas ?… Ça y est ?… Donne !… (À Boursin.) Tenez, mon ami. (Il tend la lettre à Boursin qui la prend et qui fait un pas pour s’en aller. Lupin le saisit par le cou et le renverse.) Bouge pas, mon gros, ou t’as le bras cassé. (À Charolais père.) Nos papiers, ils sont sous son dolman. (À Boursin.) C’est du jiu-jitsu, mon vieux, tu apprendras ça à tes collègues. (L’aidant à se relever et le poussant vers la porte.) Mais tu diras à ton patron que s’il a besoin de chasseur pour me fusiller, il faudra qu’il épaule lui-même… T’es pas pour gros gibier !… T’as une balle qui ne porte pas !…

Boursin, menaçant. — Le patron sera ici dans dix minutes !

Il sort.

Lupin, le conduisant jusque dans l’antichambre. — Ah ! merci du renseignement !


Scène V

LUPIN, CHAROLAIS PÈRE, puis VICTOIRE

Lupin, revenant en courant. — Bougre d’idiot ! T’avais donc rien vu ?

Charolais père. — Sous le dolman ?

Lupin. — Mais non, imbécile, dans la valise. Et maintenant, on est bon, Guerchard sera ici dans dix minutes avec un mandat d’arrêt ! (Impérieux.) Fichez le camp, tous !

Charolais père. — Mais par où ?… Il y a des flics partout !… Ils ont reçu du renfort… Il y en a à la porte d’entrée et dans la rue parallèle.

Lupin. — Mais là, devant, dans l’avenue.

Charolais père, regardant. — Libre.

Lupin. — Filez par l’escalier de service. Je vous rejoins… Rendez-vous à la maison de Passy…

Ils sortent.

Victoire. — Et toi, tu viens aussi ?

Lupin, téléphonant. — Dans un instant, je passerai par là… Ils n’ont pas encore trouvé l’issue secrète.

Victoire. — Qu’en sais-tu ? Mais tu es fou, tu téléphones ?…

Lupin. — Oui. Si je ne téléphone pas, Sonia va venir, elle s’enferrerait dans Guerchard.

Victoire. — Sonia, mais…

Lupin, s’exaspérant. — On ne répond pas. Allô… elles sont sourdes.

Victoire, effarée. — Passons chez elle, mais fuyons d’ici…

Lupin, avec une agitation croissante. — Chez elle… est-ce que je connais son adresse ! Ah ! j’ai perdu la tête hier soir… Allô !… C’est un petit hôtel près de l’Étoile… mais il y a vingt hôtels près de l’Étoile !… Allô… (Hors de lui.) Ah ! ce téléphone… On lutte, on se bat contre un meuble… Allô… (Il soulève l’appareil. Avec un cri de rage.) Ah ! on m’a joué le tour du téléphone… c’est Guerchard… Ah ! la fripouille !…

Victoire. — Eh bien, alors… maintenant ?

Lupin. — Quoi, maintenant ?

Victoire. — Tu n’as plus rien à faire ici, puisque tu ne peux plus téléphoner.

Lupin, lui prenant le bras, tout tremblant de fièvre et d’anxiété. — Mais tu ne comprends donc pas que, puisque je n’ai pas téléphoné, elle vient ! Elle est en route, tu entends, elle va venir.

Victoire. — Mais toi !…

Lupin. — Mais elle !…

Victoire. — Mais à quoi ça avance, ma doué, c’est vous perdre tous les deux !

Lupin. — Ah ! j’aime mieux ça…

Victoire. — Mais ils vont te prendre…

Lupin. — Me prendre !… (Posant la main sur la boite qu’il a rapportée.) Ah ! pas vivant, je te le jure.

Victoire, terrifiée. — Tais-toi ! Tais-toi !… Ah ! la maudite chose que tu as là dedans… Je le sais bien, t’es capable de tout… et eux aussi, ils te donneront un mauvais coup… Non, vois-tu, il faut t’en aller… la petite, on ne lui fera rien… elle en sera quitte pour pas grand’chose. Tu vas t’en aller, n’est-ce pas ?

Lupin. — Non, Victoire !

Victoire, s’asseyant. — Alors, comme il plaît à Dieu…

Lupin. — Quoi ! tu ne vas pas rester, toi !

Victoire. — Ah ! fais-moi bouger d’ici si tu peux, je t’aime autant qu’elle, tu sais… (On sonne, ils se regardent. La voix sourde, avec une angoisse effrayante.) C’est elle ?

Lupin, bas, immobile. — Non.

Victoire, de même. — Alors ?

Lupin, de même. — Alors oui, c’est Guerchard !

Victoire, de même. — Ne bougeons pas… peut-être…

Lupin, après un silence. — Écoute, va lui ouvrir.

Victoire, épouvantée. — Quoi ! tu veux ?

Lupin, avec un sang-froid impressionnant et une autorité extrême, lentement, gravement, tout son être tendu. — Comprends-moi bien, tu attendras qu’il soit rentré, tu feras le tour, tu t’en iras par l’escalier de service, tu la guetteras pas loin de la maison… Oh ! tu la reconnaîtras… elle est si jolie… Et puis tu verras bien quand elle voudra franchir la porte… (La voix tremblante et impérieuse.) empêche-la d’entrer, Victoire… empêche-la.

Victoire. — Oui, mais si Guerchard m’arrête ?…

Lupin. — Non ! Il entre, tu te dissimules derrière la porte, et puis tu ne comptes pas pour lui…

Victoire. — Pourtant, s’il m’arrête ?… (Lupin ne répond pas. On entend un deuxième coup de sonnette. À voix basse.) S’il m’arrête…

Lupin, un temps, tout bas. — Vas-y tout de même, Victoire…

Victoire. — J’y vais, mon petit.

Elle sort par l’antichambre.


Scène VI

LUPIN, seul.

Lupin, seul, il tombe assis, défaillant. — Pourvu qu’elle arrive à temps… que Victoire l’empêche… Ah ! Sonia, ma petite Sonia… (Se dominant.) Hein ! mais je deviens gâteux, moi !… Guerchard est là et au lieu de… Ah ! mais non ! Ah !… mais non !… (Il se relève.) Ah ! mais non !… Il prend la boite et va la déposer sur un des rayons de la bibliothèque.


Scène VII

LUPIN, puis GUERCHARD, puis BOURSIN, puis SONIA KRITCHNOFF

Guerchard, entrant rapidement et s’arrêtant court sur le seuil. — Bonjour, Lupin.

Lupin. — Bonjour, ma vieille.