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Page:Leblanc - Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (La Dame blonde suivi de La Lampe juive), paru dans Je sais tout, 1906-1907.djvu/45

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Seulement, Clotilde, ma vie n’est pas la vôtre, vous le savez. Ma vie est violente et fiévreuse, et je ne puis pas toujours vous consacrer le temps que je voudrais.

Elle s’affola aussitôt.

— Qu’y a-t-il ? un danger nouveau ? Vite, parlez.

— Oh ! rien de grave encore. Pourtant…

— Pourtant ?

— Eh bien, il est sur nos traces.

— Sholmès ?

— Oui. C’est lui qui a lancé Ganimard dans l’affaire du restaurant Hongrois. C’est lui qui a posté, cette nuit, les deux agents de la rue Chalgrin. J’en ai la preuve : Ganimard a fouillé la maison ce matin, et Sholmès l’accompagnait.

— Oh ! Maxime, j’ai peur.

— Il n’y a pas de quoi s’effrayer. Mais j’avoue que la situation est énervante. Que sait-il ? Où se cache-t-il ? Sa force réside dans son isolement. Rien ne peut le trahir.

— Et alors que décidez-vous ?

— L’extrême prudence, Clotilde. Depuis longtemps je suis résolu à changer mon installation et à la transporter là-bas, dans l’asile inviolable que vous savez. L’intervention de Sholmès brusque les choses. Quand un homme comme lui est sur une piste, on doit se dire que fatalement il arrivera au bout de cette piste. Donc, j’ai tout préparé. Après-demain, mercredi, le déménagement aura lieu. À midi, ce sera fini. À deux heures, je pourrai moi-même quitter la place, après avoir enlevé les derniers vestiges de notre installation, ce qui n’est pas une petite affaire. D’ici là…

— D’ici là ?

— Nous ne devons pas nous voir, et personne ne doit vous voir, Clotilde. Ne sortez pas. Je ne crains rien pour moi. Je crains tout dès qu’il s’agit de vous.

Il ajouta pensivement :

— Ah ! Clotilde, pourquoi vous ai-je mêlée à ma vie aventureuse ? J’aurais dû rester le Maxime Bermond que vous avez aimé, il y a cinq ans, et ne pas vous faire connaître… l’autre homme que je suis.

Elle dit très bas :

— J’aime aussi cet autre… et je ne regrette rien.

Il la baisa au front.

— Allons, Clotilde, adieu, je vous verrai mercredi, à deux heures. Mais surtout ne bougez pas, je ne suis pas tranquille avec Sholmès. Je le sens qui rôde dans l’ombre et qui se rapproche de plus en plus…

Ils s’éloignèrent en causant, et Sholmès l’entendît encore qui disait :

— Avez-vous eu le temps de visiter cette armoire ? Il y a probablement des papiers dangereux…

Un moment se passa. Une femme de chambre vint fermer l’électricité. Herlock Sholmès, ne jugeant pas l’heure favorable, s’installa sur une pile d’in-folio, et s’assoupit. Vers minuit il fit jouer le ressort de sa lanterne et recommença ses investigations dans l’armoire de chêne. Ce n’est qu’au matin que, sur la seconde moitié d’un registre, il découvrit le fameux dossier M B.

Il comportait quinze pages. L’une reproduisait la page consacrée à M. Harmingeat de la rue Chalgrin. Une autre détaillait les travaux exécutes pour M. Vatinel, propriétaire, 25, rue Clapeyron. Une autre était réservée au baron d’Hautois, 134, avenue Henri-Martin, une autre au château de Crozon, et les onze autres à différents propriétaires de Paris.

Sholmès copia cette liste de onze noms et de onze adresses, puis il remit les choses en place, ouvrit une fenêtre, et sauta sur la place déserte, en ayant soin de repousser les volets.



La dame blonde et herlock sholmès se trouvent en présence


Dans sa chambre d’hôtel il alluma sa pipe avec la gravité qu’il apportait à cet acte, et, entouré de nuages de fumée, il étudia les conclusions que l’on pouvait tirer du dossier M B, ou pour mieux dire, du dossier Maxime Bermond, alias Arsène Lupin.

À huit heures, il envoyait à Ganimard ce pneumatique :

« Je passerai sans doute, ce matin, rue Pergolèse et confierai à vos soins une personne dont la capture est de la plus haute importance. En tous cas, soyez chez vous cette nuit et demain, mercredi, jusqu’à midi, et arrangez-vous pour avoir une trentaine d’hommes à votre disposition… »

Puis il choisit sur le boulevard un fiacre automobile dont le chauffeur lui plut par sa bonne figure réjouie et peu intelligente, et se fit conduire sur la place Malesherbes, cinquante pas plus loin que l’hôtel Destange.

— Mon garçon, fermez votre voiture, dit-il au mécanicien, relevez le col de votre fourrure, car le vent est froid, et attendez patiemment. Dans une heure et demie, vous mettrez votre moteur en marche. Dès que

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