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Page:Leblanc - Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (La Dame blonde suivi de La Lampe juive), paru dans Je sais tout, 1906-1907.djvu/44

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papiers de l’architecte, dossiers, devis, registres, livres de comptabilité. Sûrement je vais trouver un document quelconque… celui dont j’ai besoin, parbleu ! La meilleure preuve, c’est que Lupin lui-même s’en est inquiété.

Mais comment s’y reconnaître dans ce chaos de paperasses ? Après de longues recherches il consultait sa montre, quand il aperçut, au second plan, une série de registres placés par ordre d’ancienneté. Il prit alternativement ceux des dernières années, et aussitôt il examinait la page de récapitulation, et, plus spécialement, la lettre H. Enfin, ayant découvert le mot Harmingeat, accompagné du chiffre 63, il se reporta à la page 63 et lut :

« Harmingeat, 40, rue Chalgrin. »

Suivait le détail de travaux exécutés pour ce client en vue de l’installation d’un calorifère dans son immeuble. Et en marge cette note : « Voir le dossier M B »

— Eh ! je le sais bien, murmura Sholmès, le dossier M B, c’est celui-là qu’il me faut. Quand je l’aurai, j’en saurai, sur le domicile actuel de M. Lupin, un peu plus qu’il ne le désire… Mais soyons prudent…

Il referma l’armoire, éteignit les ampoules électriques qui éclairaient la partie supérieure de la bibliothèque, et monta sur la galerie supérieure où il se dissimula derrière les étoffes de la rampe.



Herlock Sholmès entend une conversation édifiante


Clotilde entra, accompagnée de Maxime. Ils s’assirent et restèrent silencieux assez longtemps, l’attitude plutôt gênée. Puis elle dit :

— Vous excusez mon père, n’est-ce pas ? Il s’est senti un peu las.

— Il m’a semblé moins vaillant, M. Destange.

— Oh ! bien moins. Sa santé laisse beaucoup à désirer. Le médecin défend toute fatigue, toute émotion.

Ils parlèrent de choses indifférentes et se turent de nouveau.

La pendule sonna neuf heures.

— Il est tard, dit Maxime, est-ce que je ne devrais pas…

Clotilde se leva sans répondre, marcha de droite et de gauche avec agitation, puis tomba dans un fauteuil et se mit à sangloter, la figure entre les mains.

Maxime se jeta à ses genoux et l’attira contre lui.

— Voyons, ma chère Clotilde, ne pleurez pas… Pourquoi pleurez-vous ?

Peut-être y avait-il dans sa voix un peu de cet agacement que les larmes de femme causent à l’homme moins épris. Mais il y avait une grande pitié aussi, et le geste dont il enlaçait la jeune fille était infiniment tendre.

— Dites-moi votre chagrin… Ne suis-je pas toujours votre ami ? Pourquoi pleurez-vous, Clotilde ?

— Vous ne m’aimez plus, vous ne m’aimez plus ! balbutia-t-elle.

— Mais si, je vous aime.

— Non, non, tout me prouve que c’est fini… Vous vous ennuyez près de moi. Dès que nous sommes seuls, vous cherchez des prétextes pour vous éloigner. Vous ne m’aimez plus.

Il l’entoura de ses bras et la consola doucement.

— Vous êtes une enfant, ma chère Clotilde. Est-ce que je pourrais ne plus vous aimer ?

Malgré tout elle se laissait prendre au son de cette voix caressante, et elle écoutait, avide d’espoir et d’illusion. Un sourire amollit son visage, mais un sourire si triste encore ! Il la supplia :

— Ne soyez pas triste, Clotilde, vous ne devez pas l’être. Vous n’en avez pas le droit.

Elle lui montra ses mains blanches, fines et souples, et dit gravement :

— Tant que ces mains seront mes mains, je serai triste, Maxime.

— Mais pourquoi ?

— Elles ont tué.

Maxime s’écria :

— Taisez-vous, ne pensez pas à cela, le passé est mort, le passé ne compte pas.

Et il baisait ses longues mains pâles, et elle le regardait avec un sourire plus clair comme si chaque baiser eut effacé un peu de l’horrible souvenir.

— Il faut m’aimer, Maxime, il le faut parce qu’aucune femme ne vous aimera comme moi. Pour vous plaire, j’ai agi, non pas même selon vos ordres, mais selon vos désirs secrets. J’ai accompli des actes contre lesquels tous mes instincts et toute ma conscience se révoltaient, mais je n’ai pas pu résister… je ne sais plus ce que je fais… je n’existe plus… je suis vous… Il faut m’aimer, Maxime.

— Je ne vous aime pas parce qu’il le faut, Clotilde, mais pour l’unique raison que je vous aime.

— En êtes-vous sûr ? dit-elle tout heureuse.

— Je suis sûr de moi comme de vous.

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