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Non, décidément, je ne voulais pas être sa dupe. Il irait boire dans quelque brasserie et se moquerait de ma bêtise, de ma confiance ridicule. Et puis, vraiment, s’il fallait croire tous ces mendiants !…

Nous étions sur la place de Leipzig. Je tournai rapidement et m’éloignai. Il courut après moi, mais il trébuchait comme si ses jambes eussent refusé de le porter. Il s’appuya contre un réverbère.

— Je vous en supplie, voyons, pour un Français, ayez pitié.

Il tendait la main en tremblant.

— Quelques sous seulement… écoutez… je n’ai pas mangé… depuis deux jours… j’ai faim…

J’étais loin déjà, et je rentrai, me félicitant d’avoir échappé à cet importun.

Le surlendemain, je lus dans les journaux la nouvelle suivante :

« Hier on a trouvé un individu pendu à un arbre du Thiergarten. C’est un jeune Français, Henri Bourdin, de Sedan. Au milieu de la journée, une lettre est arrivée, poste restante, avec ce nom comme adresse. On a constaté qu’elle venait de M. Bourdin père, et qu’elle contenait un mandat de vingt francs. »