Page:Leblanc - Ceux qui souffrent, recueil de nouvelles reconstitué par les journaux de 1892 à 1894.pdf/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

barre transversale dont je me servais d’ordinaire comme d’appui, quand la porte du manège s’ouvrit et Caldébras parut.

— Ah ! Ah ! petit monsieur, nous découchons, s’écria-t-il. Àla boîte, petit monsieur, à la boîte.

Il me mena au poste, et, de là, je fus conduit en prison entre deux baïonnettes.

Alors, pendant quinze jours, ne quittant ce trou que pour me promener sous le soleil de Juillet, le sac sur le dos, le shako sur la tête et des sabots aux pieds, j’aiguisai ma haine contre Caldébras. Cette haine, la jalousie la rendit implacable. J’appris en effet que les jambes de Sarah charmaient les loisirs d’un capitaine de cuirassiers.

— Nom de Dieu ! je me vengerai, pensai-je.

Aussitôt libre, je ne songeai qu’aux moyens à tenir mon serment. J’espionnai Caldébras, espérant le prendre en défaut. Longtemps mes recherches furent inutiles.

Un matin cependant, avant la manœuvre, comme j’avalais une tasse de café à la cantine, je m’aperçus qu’il remettait un billet à la mère Provost.

C’était une belle femme que la cantinière, pas très séduisante, mais une poitrine ! une poitrine énorme dont rêvaient tous les artilleurs de Versailles. Que de fois mon brosseur s’est écrié avec un soupir :

— Cré coquin, j’aimerais mieux qu’é tombe dans mon lit que le foudre, la mère Provost !

Sans doute l’adjudant partageait cet avis. Le lieu de leurs rendez-vous me sembla même indiqué. Petit Monsieur ne sortait-il pas du manège le jour où il m’avait avisé au sommet de la grille ?

À tout hasard, une nuit, j’allai m’y poster.

Sur la pâleur du ciel, les toits des bâtiments dessinaient des lignes sombres, brisées symétriquement par les fenêtres des mansardes. Au-dessus, la lune bril-