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Et elle souffrit de ce que sa fille fût honnête. Sa propre corruption ne lui semblait répréhensible que relativement à la probité de Thérèse. Aussi fut-elle amenée insensiblement à croire que cette probité constituait un reproche volontaire et ne prenait sa source que dans le désir de perpétuer ce reproche. Elle se rappelait la mélancolie de l’enfant, les regards sévères de la jeune fille. N’y avait-il pas lieu de penser que la jeune femme continuait ces muettes remontrances en affectant des mœurs ridicules ?

Oui, elle n’en doutait pas, Thérèse était honnête par méchanceté, par vengeance.

Suspectant la noblesse de ses mobiles, elle la méprisa. Elle la détesta. Elle la punit comme on châtie un enfant indocile. Elle la cingla de sobriquets où sifflait son dédain, l’appelant la vierge, la demoiselle, la pucelle.

L’autre doucement courbait la tête. La mère redoublait.

Elle aurait voulu la fuir. Malgré tout, elle revenait, agressive, mordante. D’une voix dure elle développait des théories :

— Il ne s’agit pas toujours de son honneur. Le premier devoir de l’épouse, c’est de retenir son mari, au prix de sacrifices, de concessions même, de légèretés au besoin qui excitent sa jalousie.

Acharnée elle se fit la dénonciatrice de son gendre. Elle rapportait ses moindres fredaines, les enjolivait, et finit même par inventer en tous points d’abominables histoires.

Elle tenta également de la démoraliser. Ne doit-on pas se divertir ? Quand on est jeune, que diable ! il faut profiter de sa jeunesse. Qui sait si l’on ne regrettera pas plus tard ce que l’on ignore !