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du supplice, le déchirement de son être, l’infâme brûlure qui la mordait au vif de sa plaie.

Puis l’époque sombre s’annonçait soudain. Des plaintes d’abord, et les cris ensuite, des cris rauques, des cris perçants, des cris sauvages, des appels, des supplications, des blasphèmes, et plus affreux que tout, des petits gémissements humbles, doux, à peine balbutiés.

Lui écoutait, témoin fatalement impassible. Chaque cri le frappait a la tête et s’y enfonçait. Et il savait si bien l’enchaînement des sensations éprouvées et la sorte de douleur exprimée par chacun de ces cris, qu’à son tour il souffrit en son cerveau comme elle souffrait en ses entrailles. C’étaient, entre les parois de son crâne, les mêmes coups, les mêmes arrachements, les mêmes blessures.

Oh ! la douleur, la douleur ! elle emplissait leur mansarde. Elle imprégnait l’atmosphère. Elle se mêlait à la clarté du soleil, aux ténèbres de la nuit. Il lui semblait que tous les exécrables tourments de la chair, les coupures, les lésions, les chancres, les gangrènes, que toute la douleur de l’humanité, se ruait dans cette chambre étroite et s’accumulait dans ce ventre meurtri, ce ventre de femme, symbole de toute création humaine ! Le monde est pourvu d’une somme fixe de souffrance. Et il y avait là, réunie, tant de souffrance que le reste du monde n’en devait plus avoir.

Son amie, maintenant, il la comprenait. Jadis énigmatique, inquiète, assiégée d’appréhensions et de rêves incertains, elle s’affirmait aujourd’hui. Elle se dévoilait. C’était la douleur. C’était la forme fugitive de l’immortelle douleur.

Sa pitié défaillit. Les âmes bonnes élargissent leur compassion en raison des maux qui les émeuvent. Le mal, cette