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Page:Leblanc - Ceux qui souffrent, recueil de nouvelles reconstitué par les journaux de 1892 à 1894.pdf/49

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dans ma poche, je le soupèse au fond de ma main, avec l’envie irrésistible de l’offrir au premier passant.

Les pauvres le savent bien. Il en arrive de tous les villages d’alentour. Ils assiègent mon presbytère. C’est une procession qui entre, reçoit, et s’en va, sans me remercier, tellement, tous, ils considèrent cela comme un dû. Mais je ne leur en veux pas. J’adore les pauvres, monsieur, je les adore de toute mon âme, j’ai du respect pour eux, une pitié sans bornes. La vue de leurs haillons me déchire le cœur. Je leur donnerais ma maison, mes vêtements, ma nourriture, ma vie. Je voudrais être comme eux, et mendier le long des chemins. J’ai honte du sou que je garde, comme d’un vol.

Il parlait tout bas, d’une voix triste, mouillée de larmes. Il haussa le ton et reprit :

— Or, je suis ou plutôt j’ai été très pauvre. Et ma fâcheuse manie me poussait jadis aussi impérieusement qu’aujourd’hui. C’est ce qui m’a perdu. J’ai fait des dettes, j’ai négligé de payer le boulanger ou l’épicier, j’ai emprunté, j’ai couvert de ma signature des gens qui m’ont trahi. Enfin, ce fut un tel scandale que l’on me déplaça, et j’échouai dans cette petite commune de la Haie-Aubrée, l’une des plus indigentes du département.

J’y souffris beaucoup. Les pauvres, là, sont innombrables. On me retenait une partie de mon traitement. À tout instant, monsieur, je devais refuser l’aumône. Je n’avais rien, rien. J’en pleurais.

C’est vers cette époque que mourut un de mes parents, vieux cousin éloigné avec lequel je n’avais plus de relations. Je me trouvai le seul héritier de