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qu’il comprend, qu’il note nos gestes et nos baisers. Bertol ne l’a-t-il pas chargé de surveiller sa femme ! Eh parbleu, il nous espionne, il nous dénoncera. Tantôt, je me voyais dans ses prunelles et j’eus une terreur absurde. Si le reflet de nos corps enlacés restait la, gravé, enregistré, le mari le retrouverait ! Comme je la déteste, cette bête ! Elle empoisonne ma joie… j’étais si heureux !


… Bertol annonce son retour. C’est demain notre dernière journée. Elle se donnera, elle me l’a promis. Que m’importe ce chien ! Je ne songe plus qu’à elle. Je la prendrai… devant lui ! Ah ! cela me fait rire… il en pleurera.


… Mon cerveau danse, tournoie, m’échappe. Tant d’idées atroces s’y heurtent ! Une, cependant, domine les autres — souvenir ignominieux, honte inexprimable : Geneviève s’est offerte, désireuse de moi, implorant sans pudeur mon étreinte. Mais, lui, me regardait, et je n’ai pas pu ! J’ai martelé de baisers ses épaules, ses hanches, ses jambes, j’ai respiré sa peau pour me griser, j’ai mordu dans sa chair pour m’affoler… mais il me regardait, et j’ai repoussé cette femme !

Il ne bougeait pas. Assis à l’écart, il me contemplait simplement, d’un air calme. Mon corps ruisselait de sueur. Et j’avais la sensation très nette qu’en face de moi se tenait un être qui se riait de mes efforts et se délectait de mon désespoir. Et je savais, d’une certitude absolue, qu’il me serait impossible d’agir devant ce témoin.