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ses parents lui en apprenaient, à peu près rien. De l’amour principalement elle ignorait tout. Elle n’avait d’ailleurs aucune curiosité, ne songeant jamais à ce mystère et n’en soupçonnant qu’à peine l’existence.

Le baiser d’Antoine la réveilla de sa torpeur. Désormais elle chercha, parcourut les livres, ouvrit les journaux, épia les conversations. C’est ainsi que tomba sous ses yeux une phrase de feuilleton qui lui fut un indice grave : « Il tenait la jeune fille contre lui et il soupira : « Ô ma reine, ô ma maîtresse ! »

Mais combien plus nettes et plus accusatrices ces lignes qu’elle trouva dans un manuel à l’usage des confesseurs, oublié par M. le curé au cours d’une visite : « L’attouchement de l’homme et de la femme, hors du mariage, constitue le plus mortel de péchés. »

N’était-ce point suffisamment clair ? Le doute qu’elle essayait de conserver ne s’écroulait-il pas devant de telles preuves ?

Peu à peu, son inconséquence se changeait ainsi en une faute précise, terrible, irrémédiable. La vérité perçait en elle, grandissait, devenait éclatante. Il lui fallut se l’avouer : elle avait été la maîtresse d’Antoine.

Malade, elle dut prendre le lit. Une fièvre cérébrale se déclara. Elle faillit mourir. Cela certes eût mieux valu que la vie abominable qu’elle vécut par la suite.

Les premiers mois, d’horribles angoisses l’agitèrent : si elle était enceinte ! Elle ne savait point d’où viennent les enfants. Tout au plus avait-elle remarqué que la taille des femmes s’arrondit. Aussi des quelques données qu’elle possédait, elle conclut qu’étant la maîtresse d’un homme, elle pouvait être mère.

Chaque matin, elle observa sa taille. Grossissait-elle ? Il lui sembla que oui. Elle se serra. À tout instant, elle lançait à son ventre des regards furtifs. Quel