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Désormais elle n’eut pas une minute de bonheur ni même de calme. Le remords la hantait. Toute son honnêteté de provinciale, toute sa rigidité de fille dévote, toute son âme bourgeoise aux principes inflexibles, s’insurgeaient contre le souvenir honteux de son crime. Elle avait succombé ! Sans qu’elle eût seulement un geste de recul ou un mot d’horreur, un homme avait pris ses lèvres, l’avait déshonorée !

Elle s’en accusa au curé d’un village voisin, un vieux prêtre infirme qui n’exigea nul détail et lui conseilla l’indulgence :

— Vous êtes coupable, ma fille, pardonnez à celles qui sont coupables comme vous.

Elle leur pardonnait volontiers. Sa prétendue faute la transformait ainsi qu’une faute réelle. Son esprit s’ouvrait. Elle comprenait des choses, impénétrables pour elle jadis. Elle défendait les femmes dont on soupçonnait la conduite en sa présence. Elle devint charitable et miséricordieuse. N’avait-elle pas besoin, elle aussi, de la pitié des autres ?

Sa déchéance lui semblait infinie. Elle se jugeait l’égale des pires créatures. Elle pensait à elle comme à un être souillé, couvert de boue. Tout lui rappelait son infamie : la pièce, témoin de sa chute, le canapé où elle s’était abandonnée, la voix de sa mère qui avait retenti durant l’acte ignominieux. Quoi qu’elle fît, elle avait eu un amant, un homme l’avait possédée — les vrais termes s’imposaient à elle peu à peu — un homme était le maître de sa chair ! Et tout cela elle ne pouvait l’effacer. Des envies de suicide l’obsédaient.