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Page:Leblanc - Contes Heroïques, parus dans Le Journal, 1915-1916.djvu/21

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Sainte Blandine



Tenez — nous dit le capitaine — c’était le lendemain du jour où la cathédrale de Reims fut bombardée pour la première fois. Ma compagnie progressait lentement sur la gauche de la ville, à l’abri d’un petit bois que nous avions ordre d’explorer, et c’est de la lisière même que nous aperçûmes, cinq cents mètres en avant, ce soldat qui venait à notre rencontre en courant d’une meule à une autre meule.

Je remarquai qu’il était ployé en deux sous le poids d’un fardeau qu’il portait par-dessus son sac. Impossible d’aller à son secours, tellement, autour de lui, les balles et les éclats d’obus faisaient rage ; et deux fois il s’affaissa dans le chaume, de sorte que nous pouvions le croire atteint. Mais les deux fois il se releva, et, à la fin, épuisé, trainant la jambe, de plus en plus, courbé, il vint assez près de nous pour que trois de mes hommes pussent le saisir et le mettre en sûreté.

On l’étendit. On le soigna. On lui offrit des aliments. Et sans doute n’avait-il pas mangé depuis longtemps, car il y fit honneur avec une véritable voracité.

C’était un enfant presque, imberbe, au pâle visage amaigri par les privations et dont les cheveux noirs retombaient par boucles emmêlées, — un air, d’ouvrier parisien mais d’expression fine, distinguée, un peu ingénue même.