Page:Leblanc - Contes Heroïques, parus dans Le Journal, 1915-1916.djvu/22

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Il me regarde en souriant et me dit :

— C’est bon, mon capitaine.

— Eh bien, m’écriai-je, curieux de connaître son aventure, d’où viens-tu ?

— De plus loin encore, mon capitaine. Voilà un mois que je bats en retraite. Ça a commencé un jour où j’étais d’arrière-garde dans un village avec ma section, sur la frontière belge. Au moment même où on se repliait, un éclatement d’obus auprès de moi m’a étourdi. Le soir j’étais recueilli par le curé, Un brave homme de curé comme on en voit dans les livres, et qui m’a dorloté et gobergé, à ne pas croire ! Seulement, voilà qu’au bout de deux jours le canon se rapproche. Il fallait partir.

» — Mon petit, qu’il m’a dit, ces sauvages-là vont brûler et piller tout dans église. Soit. Mais il y a des choses que je voudrais sauver. Tiens, j’ai fait deux paquets… tous les objets du culte qui ont de la valeur d’une part, et puis, de l’autre, la vieille statue de sainte Blandine, patronne de mon église. Emporte-les, mon petit, veux-tu ? et tâche de les mettre en lieu sûr… si tu peux.

» Alors, mon capitaine, je suis parti avec ça par-dessus mon sac. Et puis des uhlans m’ont dépassé, et toute l’armée des Boches. Il a fallu se terrer, marcher la nuit, manger je ne sais pas quoi… »

— Mais tes paquets ?

— Ah ! ma foi, mon Capitaine, il y en a un qu’est resté en route. J’étais fourbu, la fièvre, tout le diable et son train. Plus moyen d’avancer. Alors, n’est-ce pas ?…

— Et depuis ?