Page:Leblanc - Contes Heroïques, parus dans Le Journal, 1915-1916.djvu/40

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Un homme en sortait à ce moment, un petit homme dont le ventre pointu tendait l’uniforme et dont une épaisse barbe grisonnante couvrait le visage. Celui-ci était blessé à la jambe, et il avait pu, lui aussi, tout en gémissant, déchirer l’étoffe et panser la plaie tant bien que mal.

Victor lui dit :

— Ça va, camarade ?

Tandis que l’autre interrogeait :

— Sais-tu où est la 4e compagnie ?…

Ils s’arrêtèrent tous deux, stupéfaits par le son de leurs voix, et leurs yeux cherchaient à percer le masque de poils, de hâle, de crasse et de boue qui les défigurait.

Après un instant, Victor murmura :

— C’est toi, papa ? C’est bien toi ?

Et le vieux dit à plusieurs reprises :

— Victor… Victor… Est-ce Dieu possible !

Une même émotion les étreignit qu’ils manifestaient en se serrant les mains et en hochant la tête d’un même air d’égarement. Ils ne songeaient pas à s’embrasser, d’ailleurs, n’en ayant guère l’habitude. Et puis c’était un tel miracle de se rencontrer ainsi !

À la fin, Victor balbutia :

— Comment ça se fait-il, papa ? On t’a donc mobilisé ?

— Non, non, je n’étais pas d’âge, tu sais bien.

— Alors ?

— Alors je me suis engagé.

— Tu t’es engagé, toi ! toi, papa !