Page:Leblanc - Contes Heroïques, parus dans Le Journal, 1915-1916.djvu/77

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— Le soir même de la mobilisation, le capitaine de gendarmerie Dalbrecq conduisit son fils à la gare et lui fit ses adieux, sans pouvoir retenir quelques larmes. Le fils, qui était alors simple soldat, voyagea toute la nuit et une partie du jour. Comme il traversait les montagnes de l’Auvergne, et qu’il était seul dans son compartiment, il eut le tort de s’appuyer à une portière qu’il croyait fermée, et il dégringola le long d’un talus jusqu’au bord de la route qui côtoie la ligne à cet endroit. Quelqu’un passait, à ce moment, sur la route… un chemineau… ou plutôt un rôdeur de grand chemin, qui soigna le fils Dalbrecq, reçut ses dernières paroles… et lui ferma les yeux.

Le colonel sursauta :

— Qu’est-ce que tu chantes ? Je n’y comprends rien à ton histoire. Pourquoi parles-tu du fils Dalbrecq comme on parle d’une autre personne que soi ?

— Parce que c’est une autre personne ; mon colonel.

— Voyons, voyons, tu n’es donc pas le fils du capitaine de gendarmerie, Dalbrecq ?

— Non, mon colonel, celui-là est mort.

— Mort ! — Oui, mon colonel, mort d’un accident de chemin de fer.

— Mais, tu t’appelles Dalbrecq, cependant ?

— Non.

— Alors, qui es-tu ?

— Moi, je suis le chemineau dont je vous parlais, le rôdeur de grand chemin.

Il y eut un silence. Le colonel bougonna :

— Ton nom ?