— Ma pauvre amie, dit Jeanne, que vas-tu chercher là ? Comme il faut que tu souffres ! On croirait vraiment que tu m’accuses de ne pas être assez malheureuse et d’avoir oublié déjà celui que j’ai perdu.
— Je ne t’accuse pas de cela, Jeanne.
— Alors ?
— Alors je me demande si tu as toujours le même motif d’être malheureuse ?
Elle ne quittait pas sa sœur des yeux. Celle-ci ne baissa pas le regard et murmura :
— Explique-toi.
— Je ne puis que te répéter ma question, reprit Mathilde sourdement. As-tu toujours les mêmes motifs d’être malheureuse ? Tu aimais ton fils comme j’aimais le mien, follement. Si ta douleur n’est pas pareille à la mienne, n’est-ce pas parce que la cause de cette douleur a disparu ?
— Quoi ? Que veux-tu dire ? s’écria Jeanne. Quelle peut être ton idée ?
— Mon idée, prononça Mathilde avec force, c’est qu’une mère comme toi serait toute différente, serait ce qu’elle a été d’abord, si elle n’avait pas reçu quelque nouvelle qui lui permette de penser à son fils comme on pense à quelqu’un qui n’est peut-être pas mort.
— Mais c’est fou, ce que tu dis là, ma pauvre amie ! Il faut que ton chagrin te fasse perdre la tête… Comment peux-tu imaginer ?…
Mathilde lui applique violemment sur l’épaule sa main crispée, et, d’une voix frémissante, articula :
— Jeanne, tu me jures que tu ne me trompes pas ?… que tu n’as reçu aucune nouvelle de ton fils ?…
Cette fois encore, Jeanne ne baissa pas les yeux, et elle dit :
— Je te le jure, Simon est bien mort, hélas ! Pourquoi t’aurais-je menti ?