Page:Leblanc - Contes Heroïques, parus dans Le Journal, 1915-1916.djvu/74

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Le bruit saccadé et ininterrompu du signal la mettait hors d’elle. Le flot de la haine l’inondait, engloutissant le passé et tous les sentiments qui l’animaient jadis. Elle voulait tuer, détruire, l’immonde personnage.

— Mais tire donc !…Qu’est-ce que tu attends ? répéta-t-elle.

— Maman… maman.

— Quoi ? Qu’y a-t-il ?

— L’homme… l’homme… c’est papa… je l’ai vu… j’en suis sûr.

— Mais, tu es fou… Ton père est au village. Il te l’a dit lui-même.

— Cependant…

— Et puis après ?… S’il trahit ? Mais non… je te jure… Oh ! mon petit, je t’en supplie !…

Elle s’était glissée jusqu’auprès de l’enfant, lui insufflant un peu de sa résolution farouche. Il tremblait moins. L’arme était braquée. Son doigt pressait la gâchette. Gilberte eut un sursaut de volonté.

— Écoute… Si tu ne tires pas… eh bien ! j’appelle, je crie… L’homme viendra et nous tuera tous-deux.

L’enfant appuya. La détonation partit. Il y eut un gémissement au bout de la terrasse, quelques plaintes, et le son rauque d’une voix qui disait : « Au secours ! Au secours ! » et qui, peu à peu, s’affaiblit, se tut…

L’enfant bégaya, terrifié :

— C’est papa, petite mère, c’est papa…

Elle dit tout haut, avec un grand calme :

— Ne t’occupe pas de cela, mon petit Jean. Descends vite t’habiller, et puis tu remonteras avec un couteau et des tenailles. Après, on verra ce que c’était que ce misérable, et ce que nous ferons de lui, pour que personne ne se doute de ce qui s’est passé… Tu entends, mon petit Jean, personne… Il faut que cela reste entre nous deux… Descends t’habiller, mon petit Jean…