Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croissante de la jeune fille, et il s’obstina, impitoyable :

— Il faut parler, mademoiselle. Deux heures, trois heures se sont écoulées après votre sortie du bal… des heures où cet homme est resté près de vous… entre les quatre murs d’une chambre, et nous devons savoir…

Elle se mit à pleurer doucement. Elle avait l’air de supplier : « Je vous en prie…, ne me contraignez pas… c’est une torture que vous m’infligez… En avez-vous le droit ?… »

Gérard murmura :

— Ne dites pas un mot, mademoiselle.

Elle releva la tête et, s’adressant à M. Lissenay :

— Ce que je vous ai confié ne suffit pas à fixer votre opinion ?

— Ce sont des impressions, des preuves toutes morales. Mais ces preuves morales elles-mêmes sont contredites par la façon même avec laquelle il a agi envers vous.

— Oui, en effet, dit-elle, il faut que j’aille jusqu’au bout de ma confession pour que vous puissiez le juger selon ce qu’il est, et selon ce qu’il a fait. Ne m’en veuillez pas si j’hésite… il y a des choses pénibles…

Elle essuya ses yeux. Son visage prit une expression d’énergie tranquille. Elle se domina dans un effort suprême et prononça :

— Je dirai donc tout, monsieur le juge, et devant lui-même. Eh bien, hier, tout l’après-midi j’avais subi l’influence obsédante de cet homme. Oui, dès la première minute, il m’a inquiétée et troublée. C’est inexplicable, de ma part… J’étais si paisible et si maîtresse de moi ! Mais c’est ainsi. Et lorsque la nuit est arrivée, lorsque nous somme venus à cette fête russe, j’étais déjà conquise. Il m’a emportée dans sa chambre… J’étais sans défense, à sa merci. Il pouvait faire de moi ce qu’il voulait… avec mon consentement. Oui, j’ai honte de l’avouer, j’étais consentante et il le savait. Il savait que je n’aurais pas repoussé ses baisers. Je le lui ai presque dit, tout en le suppliant de me respecter.

»  C’est cela qu’il faut bien comprendre, monsieur le juge d’instruction, puisque vous voulez connaître toute la vérité sur lui. C’est cela, c’est un abandon total. Or, il ne m’a pas touchée, monsieur le juge d’instruction… La situation qu’il avait créée, il n’en a pas profité. Il n’y a pas eu lutte. Je n’ai pas eu à me défendre. J’étais sur le divan, sous ses yeux qui m’enlevaient toute force. J’étais à lui s’il l’avait voulu. Je n’étais pas éveillée, mais je ne dormais pas non plus. J’étais incapable de mouvement, mais j’étais consciente… Il m’a regardée longuement. Entre mes cils baissés, j’ai vu changer, s’attendrir l’expression de ses yeux. J’ai vu sur son visage une expression de pitié et de remords. Il avait un genou sur le bord du divan. Il s’est relevé et il s’est éloigné, monsieur le juge… m’épargnant, moi qui ne désirais pas alors être