Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/109

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épargnée, et, sans plus me regarder, il s’est assis devant une table, la tête dans ses mains…

»  Et là, il s’est, après quelques moments, combien de temps, je ne sais au juste, endormi. Je me suis, alors, moi aussi, assoupie… Une heure après, environ, je me suis réveillée. Il dormait, encore, la tête sur son bras appuyé à la table. Et c’est une des choses qui m’ont le plus émue et qui m’émeuvent encore… Ce sommeil… Le sien et le mien… Nous avons été dans cette chambre, comme des enfants, moi malgré ce que j’avais fait, lui malgré sa conduite. J’ai quitté sans bruit le divan, j’ai pris mon manteau et, doucement, sans l’éveiller, je suis partie. Personne ne m’a vue à la Pension, où tout dormait… Voilà la vérité, monsieur le juge. Vous en tirerez les conclusions qui vous sembleront justes. Pour moi, si je ne lui pardonne pas ses habiletés et sa conduite, je ne peux pas oublier qu’il m’a respectée. Je ne peux pas oublier cela. Je ne l’oublierai jamais.

La voix de Nelly-Rose sombra dans un sanglot qu’elle étouffa. Gérard, sur sa chaise gardait son immobilité de statue ; les yeux baissés, le visage rigide, on sentait que toutes ses forces étaient tendues pour ne pas laisser transparaître son émotion. Le juge, lui, dissimulait mal la sienne.

— C’est tout de même chic, ce qu’elle fait là, la petite, murmura une voix.

Ce ne pouvait être que la voix de Nantas, mais Nantas, dans un coin, immobile, ne regardait personne.

— Mademoiselle, c’est tout ce que vous avez à dire ? demanda le juge d’instruction.

— C’est tout, fit avec calme Nelly-Rose, qui s’était reprise. J’ai dit ma conviction… et j’ai dit toute ma faiblesse, comme c’était mon devoir, pour que vous puissiez comprendre et juger.

M. Lissenay tourna les yeux vers Gérard.

— Vous n’avez rien à répondre à mademoiselle ?

— Rien que ceci (Gérard lui aussi avait repris quelque calme). Je jure sur l’honneur que, quand mon innocence, grâce à elle, aura été reconnue, quand je serai libre, je ne chercherai jamais à la revoir.

Il eut un bref coup d’œil vers Nelly-Rose, mais elle ne le regardait pas, et resta impassible.

— D’autre part, continua Gérard, je vous demande, monsieur le juge, si c’est possible, de ne pas révéler, tout de suite du moins, le nom de mademoiselle, de ne pas mentionner son intervention… Elle ne doit pas être éclaboussée par aucun scandale, et comme le vrai coupable sera certainement bientôt découvert… il sera possible de passer sous silence tout ce qui touche Mlle Destol.

— Mademoiselle, vous pouvez vous retirer, dit M. Lissenay.

Mais Gérard se dressa :

— Un mot encore avant le départ de Mlle Destol, monsieur le juge. J’oubliais… quelque chose de grave. Voici : j’ai été, lors de mon dernier voyage en Russie, il y a quelques semaines, chercher des papiers qui appartiennent à Mme Destol et à mademoiselle.

— Des papiers… Quels papiers ?…

— Des valeurs. Des titres de propriété de mines en Roumanie, un reçu… le tout représentant une somme importante.

— Quelle somme ?

— Je ne sais trop… Dix… vingt millions, peut-être davantage.

— En effet, dit M. Lissenay la somme est considérable.

Mais Nantas s’était dressé :

— Pardon, monsieur le juge…

Et à Gérard :

— Dans quoi sont-ils, ces papiers ?

— Dans une pochette !

— Nous y voilà, à la pochette. Je le savais bien ! Et vous n’avez pas voulu m’en souffler mot tout à l’heure ! Quel entêté !

— Je ne voulais parler de ces papiers qu’à Mlle Destol, en les lui remettant… Ou plutôt, les ayant remis à Baratof, je m’étais aperçu qu’il voulait se les approprier… C’est à ce sujet qu’il y a eu, cette nuit, entre lui et moi, discussion, puis rixe. Au cours de notre rixe, je les lui ai repris.

— C’était le seul motif de votre querelle ? demanda le juge.

Gérard hésita.

— Il y avait un autre motif…