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gnit la vague route où il l’avait quittée.

Il arriva au petit groupe des isbas qu’il traversa sans s’y arrêter, malgré le désir qu’il avait de prendre quelque chose de chaud… Bah ! la vodka de sa gourde lui suffirait.

Il en but, tout en marchant, une gorgée, et, parvenu au château, le contourna. Le château était inhabité, les volets fermés, pas de fumée aux cheminées. Tout semblait mort, aucun être vivant sur les routes ni dans la plaine. La neige paraissait le linceul de toutes choses.

De l’autre côté du château, l’homme retrouva la piste. Il la suivit de son pas égal, élastique, foulant avec indifférence la neige glaciale ; de temps à autre, il se secouait pour faire tomber les flocons qui s’amoncelaient sur ses épaules.

Il arriva à la lisière d’un bois et vit une isba isolée, misérable, mais habitée, celle-là ; sa cheminée fumait. Dans le bois, il se dissimula, et attendit.

L’attente fut longue, le froid le gagnait, et il recourut à sa gourde… Il eut enfin un mouvement de satisfaction. Une vieille paysanne, emmitouflée de loques, sortait de l’isba. Sans voir le guetteur, elle prit la route qu’il venait de suivre.

Quand elle fut hors de vue, il sortit de sa cachette et s’approcha de l’isba derrière laquelle il y avait une cour qu’un mur entourait.

Il escalada ce mur avec une aisance de gymnaste et traversa la cour.

Au moment de frapper, il eut une hésitation et reprit le plan qui lui servait de guide. Il y lut :

« Quant à l’enfant, tu feras ce que tu voudras. En réalité, si tu la ramènes ici, ça n’ajoutera pas grand-chose au bénéfice puisque nous tiendrons le collier, et peut-être les titres. Mais enfin, si ça t’amuse, et qu’il n’y ait aucun danger… »

Il frappa.

Pas de réponse.

Il gagna la fenêtre. Le volet était fermé. Il le secoua, réussit à l’ouvrir. Il poussa la croisée qui céda. Alors, il sauta dans la maison.

Au milieu de la pièce, il vit une petite fille de sept à huit ans, jolie, mais pâle et maigre, dans une robe sordide. Debout, tremblante, les mains jointes, de ses yeux dilatés par l’épouvante, elle le regardait.

Sans l’approcher, il lui sourit d’un sourire cordial.

— N’aie pas peur, ma petite. Je ne te ferai pas de mal. Tu es bien Stacia, la fille de la comtesse Valine ?

Trop effrayée sans doute pour pouvoir parler, l’enfant, de la tête, fit oui.

— La vieille femme à qui on t’a confiée est méchante pour toi, n’est-ce pas ? Elle te rend malheureuse ? Elle te bat ?

Même signe affirmatif.

— C’est bien elle qui vient de sortir ?

La petite inclina encore la tête. Oui, tout cela était vrai et elle était bien malheureuse.

Et, cette détresse d’enfant, l’homme la sentit si profondément, il en fut si touché, que, malgré tout, contre toute prudence, il prononça :

— Veux-tu venir avec moi ?

Cette fois-ci, l’enfant ne répondit pas du tout.

Il insista :

— Si tu viens avec moi, je te conduirai à ta mère.

Le visage de l’enfant se contracta, ses larmes jaillirent, enfin elle parla.

— Maman est morte… avec papa…

Saisi de pitié, il s’approcha :

— Non, ma petite, ta maman n’est pas morte, elle m’envoie te chercher.

La petite fille ouvrit sur lui des yeux pleins d’angoisse et d’espérance. Était-ce vrai ce qu’il disait, cet homme-là qui souriait avec tant de bonté qu’elle se sentait poussée vers lui par un grand élan ?

— Tu te rappelles le médaillon, insista-t-il, avec ton portrait, que ta maman avait toujours au cou ?

— Oui.

— Eh bien, regarde, le voilà. C’est ta maman qui me l’a donné pour que tu aies confiance.