Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/20

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L’homme la regarda au fond des yeux et dit :

— Tu vois ce sac qui est là par terre…

— Oui.

— Il y a une petite fille dedans, je la ramène à sa mère.

— Oh ! dit-elle stupéfaite de cette révélation. Et tu n’as pas peur que je te trahisse ?

— Je suis sûr de toi, dit-il doucement. Tu vas la prendre dans ta voiture et tu traverseras avec elle. Je la retrouverai ce soir.

Elle murmura, au bout d’un instant :

— Mais toi, comment ferais-tu pour passer ?

— À la nuit, je me jetterai à l’eau. Je nage bien.

— Ils te tueront à coups de fusil.

— Il faut bien risquer…

— Oh ! répéta-t-elle, c’est bien dangereux. Et pourquoi risques-tu ?… Pour de l’argent ?

Il réfléchit. Au fond, était-ce pour de l’argent ?

— Non, dit-il, de l’argent, j’en ai.

— Alors, pourquoi ?

— Ça m’amuse. Il y a beaucoup de choses qu’on fait dans la vie pour s’amuser, parce que cela fait plaisir. Ce sont les meilleures choses.

Il avait repris son accordéon, et il en tirait des sons d’une telle douceur qu’elle seule pouvait les entendre. Il chanta ainsi, sans la quitter du regard, et en lui adressant les mots tendres de cette chanson. Elle était penchée sur lui, elle voyait ses yeux bleus, ses dents claires, et elle répondait à son sourire par un sourire heureux.

Du temps ainsi s’écoula.

Le jour s’assombrissait. Un épais brouillard s’élevait du marécage.