Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/33

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méro ? Mlle Nelly-Rose Destol t’intéresse donc beaucoup ?

— Pourquoi pas ? dit Gérard en ramassant la revue… Ma parole, tu as l’air d’être jaloux. As-tu l’intention de t’inscrire pour les cinq millions et de t’imposer à la jeune personne par ce moyen ?… Il est vrai qu’avec tout ce que tu as raflé depuis des années, avec ou sans mon aide, tes moyens doivent te permettre d’être large.

— Je ferai ce qui me plaira, dit Baratof, ça ne regarde que moi. Mais je te demande de ne pas t’occuper de cette jeune fille.

Gérard haussa les épaules, et fit d’un ton railleur :

— Je pourrais te répondre, moi aussi, que j’agirai selon mon bon plaisir. Mais pourquoi te disputer une conquête qui m’est indifférente ?

Elle n’était pas indifférente à Baratof. Le matin même, il avait reçu de sa banque de Londres un télégramme : « Chèque touché ».

Gérard partit le lendemain. Il avait pris congé de Baratof et les deux hommes, sans faire allusion à l’incident de la veille, s’étaient dit adieu avec une apparence de cordialité qui masquait leur animosité… Le 8 mai, ils se retrouveraient à Paris…


Gérard, comme il l’avait dit, voyagea sans hâte, s’arrêtant dans les villes qui lui plaisaient, à Prague, à Venise notamment. Et dans chaque ville, fréquentant les lieux de plaisirs, chassant la bonne fortune de rencontre, il nouait de brèves aventures, don Juan expert à séduire et qui sait vaincre vite toutes les résistances.

La pensée de Nelly-Rose, toutefois, revenait souvent à son esprit. Certes, il n’avait point d’amour pour elle, il n’en avait jamais eu pour aucune femme, mais elle excitait sa curiosité. Qu’était-elle ? Une jeune fille du monde, oui… Une jeune fille ?… De mœurs assez libres sans doute, s’il fallait en croire cette annonce extravagante. Pourtant ce visage, dont il regardait sur la revue les trois aspects, était bien pur, presque enfantin encore malgré le dessin voluptueux de la bouche, et le regard des yeux était droit et candide…

Un soir, à Venise, parcourant un journal français, il ne put retenir un mouvement. Il lisait qu’un don de cinq millions avait été fait à la Maison des laboratoires par un Russe nommé Ivan Baratof, — beau geste célébré en termes dithyrambiques.

Ah diable ! Baratof s’était donc réellement déterminé à l’action ? Et pour qu’il eût fait, lui l’homme cupide, ce sacrifice, son désir devait être bien grand, et il emploierait n’importe quel moyen pour se faire payer par Nelly-Rose. Il s’agissait