Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gérard quitta le Russe, monta chez lui, déposa dans un vase, sur un meuble, la branche de lilas et changea de toilette.

Peu après, parfaitement élégant dans un impeccable vêtement du soir qui dessinait sa taille svelte et robuste, il revêtait son pardessus, prenait son chapeau et redescendait.

Dans le bureau, le patron l’attendait et aussi le chauffeur Ibratief, vieil homme, aux yeux intelligents et mélancoliques.

— Voilà, lui dit Gérard, — jusqu’à neuf heures, je n’ai pas besoin de toi. Dîne tranquille. Mais, à neuf heures, trouve-toi, avec ton taxi, devant le Nouveau-Palace, aux Champs-Élysées. Tu me conduiras à l’Opéra. J’en sortirai, avec une dame, vers dix heures ou dix heures et demie. Je la ferai monter. Aussitôt que j’aurai refermé la portière sur elle et sur moi, tu nous amèneras ici rapidement, mais en prenant bien garde à ne pas avoir d’accident. Et, quoi que tu entendes, des coups à la vitre, des appels de cette dame, ne t’occupe de rien, ne te retourne pas, ne t’arrête pas… C’est compris ?

Ibratief salua.

— C’est bien compris. Tout à vos ordres.

— Je n’aurai pas besoin de te répéter à mesure mes instructions ?

— Non.

— Tu peux compter sur lui, dit le patron.

— Bien !

Gérard quitta la Pension russe, satisfait. À tout hasard, par instinct pour ainsi dire, et sans plan bien précis, il s’était donné les moyens de profiter d’une occasion qui pourrait se présenter. Il avait une auto, il avait un complice. De la sorte, il pourrait amener Nelly-Rose, avec le maximum de sûreté, à la Pension Russe.

Comme toujours, il avait le souci de ne négliger aucune précaution, afin de pouvoir, le mieux possible, tirer parti de l’imprévu.

Quelques minutes plus tard, il arrivait au Nouveau-Palace, montait, et, dans le petit salon de son appartement, trouvait Baratof qui fumait, tout en parcourant les journaux du soir.

Les deux hommes se serrèrent la main avec une apparence suffisante de cordialité.

— Tu as fait bon voyage ? demanda Gérard.

— Très bon… et toi ? Tu t’es bien amusé en route ?…

— Comme ça…

— Toujours des aventures de femmes ? Ah ! don Juan !…

Baratof avait un air narquois. Gérard ne parut pas y prendre garde.

— À propos, dit-il avec calme, on t’a téléphoné, tantôt, à 4 heures. J’étais venu voir si tu étais arrivé. On m’avait fait attendre ici. J’ai répondu.

— Ah ! qui était-ce ?…

— Une jeune fille qui est chargée, paraît-il, d’organiser une réception en ton honneur à la Maison des laboratoires… Mais, dis donc, il faut que je te félicite de ta générosité… Cinq millions ! C’est admirable ! Je ne croyais pas que tu t’intéressais à ce point aux œuvres scientifiques et humanitaires.

La voix de Gérard ne décelait aucune ironie. Baratof pourtant l’interrompit sèchement.

— Alors, cette jeune fille qui veut me voir ?

— Elle viendra demain matin s’entendre avec toi, répondit Gérard en fixant les yeux sur lui.

— À quelle heure ? demanda Baratof très calme.

— Onze heures.

— Très bien, je la recevrai, dit le Russe négligemment.

Puis, regardant Gérard.

— Mais que tu es chic ! Tu sors, ce soir ?

— Oui.

— Tiens, je croyais que tu devais partir, dès cette nuit, pour la Normandie, voir ta mère ?

— J’ai changé d’avis. Je vais au théâtre avec des amis que j’ai retrouvés, cet après-midi.

— Des amis ? Des amies femmes, évidemment… comme toujours…

— Comme toujours.