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Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/54

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— Accepté quoi ? — Mme Destol était hors d’elle — sais-tu seulement à quoi tu t’es engagée ?

— À recevoir ce monsieur, qui n’est peut-être ni un voyou, ni un goujat, chez moi, à minuit.

— Et s’il exige ?

— S’il exige quoi ?…

Mme Destol tapa du pied.

— Ah ! voyons, Nelly-Rose, tu n’es tout de même pas sotte au point de croire que ce personnage va se contenter de te parler de la pluie et du beau temps !

— Maman, ce personnage, comme tu dis, a été assez généreux pour donner cinq millions qui ont sauvé notre œuvre. Je ne peux pas croire qu’un homme capable de ce geste ne comprenne pas, quand je lui expliquerai l’erreur, quand je ferai appel à sa loyauté, à sa délicatesse…

— Sa loyauté, sa délicatesse !… Mais, ma pauvre petite, pour écrire une pareille lettre à une jeune fille, il faut être une brute, un cosaque !…

Nelly-Rose haussa les épaules.

— Mais, enfin, maman, qu’est-ce que je risque ? Où serait le danger ?

— Le danger ? Alors, tu ne te rends par compte ?… Non ? Ah ! certainement il ne se présentera pas à toi la menace à la bouche, en réclamant… les droits qu’il croit avoir d’après ton imprudence. Tu le flanquerais à la porte et vite. Mais il sera probablement plus habile. Il sera aimable, feindra la douceur, la délicatesse… pour te mettre en confiance… et, au moment où tu te croiras sauvée, tu seras perdue…

Nelly-Rose rit encore :

— Mais non, maman, je ne serai pas perdue du tout. Je t’assure que je ne crains rien et que je n’ai rien à craindre. J’ai promis de recevoir ce monsieur et je n’ai promis que cela… et je tiendrai ma parole. Je t’assure, c’est une question de conscience.

— Et si tu n’avais pas été là quand sa lettre t’est arrivée tout à l’heure ?

— C’est autre chose. Cas de force majeure. Mais, j’aurais été le voir demain, j’ai promis.

Mme Destol connaissait sa fille. Elle savait tout le prix que Nelly-Rose attachait à la loyauté. Elle composa.

— Eh bien, c’est entendu. Tu le verras… ce soir ou demain… En attendant, viens au théâtre avec nous.

— Si tu l’exiges, maman. Mais je serai ici à minuit.

— Tu réfléchiras d’ici là. En attendant, viens.

Nelly-Rose prit son manteau et sortit la première, suivie par les « trois mousquetaires ».

D’un signe, Mme Destol avait retenu Valnais.

— Vous avez votre auto ? lui dit-elle bas et vite.