Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/55

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— Oui.

— Alors, filez en vitesse à votre villa d’Enghien, allumez du feu, et préparez-vous à nous recevoir. Nous vous rejoignons. Comme cela, Nelly-Rose sera en sûreté.

— Excellente idée ! dit Valnais.

En hâte, il descendit et rattrapa Nelly-Rose et les trois amis.

— Je vous emmène, dit-il à l’un d’eux qu’il fit avec lui monter dans son auto, se réservant de lui expliquer en route le plan formé.

Mme Destol, cependant, avait appelé ses domestiques.

— Nous ne rentrerons que demain, leur dit-elle rapidement. Restez ici, et veillez jusqu’à une heure du matin. Si, comme c’est probable, un monsieur sonne vers minuit, éconduisez-le… aussi brutalement que vous voudrez !

Elle descendit et, avant de monter dans son auto, où s’installaient Nelly-Rose et ses compagnons, elle adressa quelques mots à son chauffeur.

La voiture roulait et Mme Destol, assise au fond, auprès de sa fille, parlait avec animation à ses vis-à-vis du ténor qu’ils allaient entendre, et demandait fréquemment l’opinion de Nelly-Rose comme pour occuper son attention.

— Mais, maman, où allons-nous donc ? demanda tout à coup Nelly-Rose qui, depuis quelques instants, paraissait s’étonner. Firmin ne prend pas le chemin de l’Opéra.

— Nous n’allons pas à l’Opéra, ma petite fille, dit Mme Destol.

— Mais où allons-nous ?

— À Enghien, chez Valnais.

Mme Destol s’attendait à une protestation violente de la part de Nelly-Rose, mais celle-ci répliqua seulement, d’un ton simple :

— Oh ! c’est mal, maman, tu me forces à manquer à ma parole.

— J’en prends la responsabilité.

— Mais, j’ai promis…

— Tu es dans un cas de force majeure, comme tu as dit toi-même tout à l’heure, déclara Mme Destol triomphante.

Nelly-Rose ne répondit rien. Le voyage à travers la nuit, le long des routes de banlieue, fut silencieux.

On atteignit le lac d’Enghien, et, par l’avenue de Ceinture, la villa de Valnais que l’on aborda du côté d’une cour qui s’étendait derrière la maison. Comme l’auto s’arrêtait, dix heures sonnaient.

Valnais, pour les recevoir, quitta la position à plat ventre qu’il occupait devant une cheminée, dans laquelle il s’évertuait à allumer un feu de bois qui se refusait absolument à prendre.

Il vint à eux, portant d’une main un bougeoir dont la bougie humide menaçait à tous moments de s’éteindre, et, étanchant de l’autre main les larmes que la fumée avait amenées dans ses yeux.

— Je m’excuse, dit-il d’un ton plaintif. Vous ne serez pas très confortablement installés. Je ne viens ici que quelques jours en plein été… Alors, vous comprenez, ce n’est pas très confortable… Il n’y a pas d’électricité ni de chauffage central, le calorifère est cassé, et les cheminées tirent mal… Enfin, il y un poêle à pétrole…

Il était si lamentable, ainsi larmoyant et sa bougie à la main, que Nelly-Rose, malgré sa contrariété vive, ne put s’empêcher de rire.

Dans la vieille villa régnait une odeur de moisi, et l’humidité suintait des murs. Les arrivants frissonnèrent. Les femmes serrèrent autour d’elles leur manteau, les hommes relevèrent le col de leur pardessus.

— Venez au premier, voulez-vous ? offrit Valnais. Il y a une chambre à coucher où le feu a bien voulu s’allumer.

On le suivit. En effet, dans une pièce du premier étage, aux papiers à demi décollés, aux meubles à demi disjoints, un feu clair jetait quelque gaîté et quelque chaleur.

— C’est parfait, dit Mme Destol, Nelly-Rose couchera ici.

Nelly-Rose semblait avoir repris toute sa gaîté.