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teté, elle fit l’exposé de la situation. Celle-ci était lamentable. La souscription, ouverte depuis quelques mois, ne marchait plus. Au début, il y avait eu quelques dons importants, un élan de générosités un peu éparses. Puis l’indifférence était venue, on ne recueillait plus d’argent, la caisse était vide, et il aurait fallu des millions !… L’œuvre si grandiose, si belle, si humaine, si utile, était-elle donc destinée à sombrer ? Que faire ?…

La voix de Nelly-Rose était vibrante et passionnée. L’enthousiasme rendait pathétiques ses beaux yeux. Les vieux messieurs, quand elle se tut, ne purent retenir un murmure flatteur d’admiration.

La discussion s’ouvrit. Oui, que faire ?

— Il faut abandonner, nous nous heurtons à l’indifférence publique…

— On ne peut abandonner une œuvre semblable. Il faut trouver un moyen de galvaniser les souscripteurs.

— Une campagne de presse, peut-être…

— Nous échouerons encore…

— Alors quoi ?

Et soudain, Mme Destol :

— Il y a un seul moyen, un seul, et c’est l’avis de ma fille. Il faut une loterie. Une grande loterie avec des souscriptions et un gros lot… très important. N’est-ce pas, Nelly-Rose ?

La jeune fille se dressa, dans un élan :

— Notre œuvre ne peut pas périr, s’écria-t-elle, et c’est le seul moyen de la sauver ! Il faut que nous demandions beaucoup pour obtenir beaucoup, et que nous demandions d’une façon originale. Oui, des dons en nature ! Il faut éveiller la curiosité et la vanité afin que chacun rivalise de zèle. L’un donnera une semaine de son travail, un autre trois de ses cachets à l’Opéra, un autre le produit de dix représentations de sa pièce à succès, un autre le produit d’une édition d’un de ses livres. Pour les lots, nous aurons des tableaux de peintres célèbres, des manuscrits signés, des autos, des pianos, des robes de grands couturiers, des meubles anciens. Le gros lot s’imposera de lui-même parmi les objets de valeur… Nous demanderons à tous, chacun donnera…

— Et vous, Nelly-Rose, demanda une dame, que l’exaltation de la jeune fille faisait sourire, que donnerez-vous ?

Nelly-Rose se retourna vers l’interruptrice.

— Moi, mais je donnerai tout ce qu’on voudra. Je suis prête à tout ce qu’on voudra !

Devant cette déclaration, des rires coururent.

— Prête à tout ce qu’on voudra, Nelly-Rose ? demanda la même dame.

— Mais oui, à tout ce qu’on voudra ! Quand il s’agit d’un but semblable, peut-on marchander ?

— Alors, vous serez le gros lot ?

Mme Destol protesta.

— Oh je vous en prie, ne faites pas dire à ma fille ce qu’elle n’a pas voulu dire. Voyons, Nelly-Rose, tu ne te rends donc pas compte de tes paroles ? Tu parles un peu trop sans réfléchir.

— En quoi, maman ?

— Votre mère a raison, Nelly-Rose, dit la dame, c’est un peu beaucoup vous engager.

— Comment cela ?

Nelly-Rose, interloquée, regardait autour d’elle les sourires amusés. Elle comprit tout à coup le sens que pouvaient présenter ses paroles irréfléchies et la façon dont on les déformait la fit rougir. Cependant, la discussion se poursuivit sur le principe de la loterie qui ralliait tous les suffrages.

Au départ, Xénia, l’étudiante polonaise, qui avait écouté toute la discussion sans s’y mêler, n’étant pas membre du comité, prit à part Nelly-Rose.

— Je te félicite sincèrement, lui dit-elle avec ardeur. C’est très chic, très épatant, ce que tu as dit là, Nelly-Rose ! Quelle belle audace !… C’est le succès assuré.