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la fortune de m. fouque

Baril, l’huissier, tournait comme pas un le calembour et l’anecdote, et Boulard, le pharmacien, qui de l’aveu général possédait à fond l’âme humaine, excellait à résoudre les cas de conscience. Enfin chacun avait sa spécialité, chacun excitait plus ou moins l’intérêt par un point quelconque de son existence ou une aptitude de son esprit. De temps à autre partait un :

— À propos, Chose, pourriez-vous me dire ?

Lui, il n’avait jamais à répondre, on ne l’interrogeait pas. Il restait à l’écart, le visage jaune, de la bile plein le cœur, un sourire de mépris aux lèvres, comme un homme méconnu qui sait ce que l’on perd à ne point l’entretenir. Et il s’énumérait ses titres au respect d’autrui, ses dix mille francs de rente, sa position bien assise, son cheval, sa voiture.

L’injustice et l’aveuglement de ses collègues le révoltaient. Il aurait voulu paraître, briller, devenir quelqu’un que l’on écoute, avoir sa place parmi ceux qui pérorent, être le monsieur que les passants montrent du doigt, et dont on dit en se retournant :

— C’est Monsieur un tel qui se promène.

Il aurait voulu, en émettant une opinion, éveil-