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un amour

Une pensée plus atroce encore la frappa. Elle n’avait plus que quelques heures à vivre et son fils ne soupçonnait pas le malheur qui planait sur lui, aucune émotion, aucun pressentiment ne lui apprendraient la vérité. Peut-être à cet instant où elle agonisait, l’enfant jouait, courait, dansait. Peut-être, à la seconde précise ou la mère expirerait, le fils, gai, insouciant, pousserait un éclat de rire.

L’excès de sa douleur la secoua au point que ses idées s’embrouillèrent et que l’image de Georges s’effaça même en elle. Pour la reconstruire, Marthe s’aida d’un portrait qu’elle fit signe à sa garde de lui apporter. Mais sa vue s’obscurcissait. Elle y renonça.

Un instinct, plus encore que le bruit des pas, l’avertit de l’approche de Civialle. Et soudain, en une vision brève, toute sa vie lui apparut, sa pauvre vie de dévouement et d’abnégation, et elle se posa cette question suprême : avait-elle bien agi en abandonnant Georges, en privant un fils de sa mère, et surtout Jacques méritait-il ce sacrifice monstrueux. Un doute la poigna qui fut sa plus grande souffrance.

Jacques ouvrit la porte, courut vers elle,