Page:Leblanc - Dorothée, danseuse de corde, paru dans Le Journal, 1923.djvu/28

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Il s’était incliné un peu trop vers la jeune fille, et ses doigts frôlèrent le châle qu’elle portait. Dorothée, qui l’avait écouté en silence pour connaître la pensée secrète de l’adversaire, tressauta d’indignation à ce contact.

— Allez-vous-en… Laissez-moi… Je vous défends de me toucher… Vous, un ami ?… vous ! vous !

La répulsion qu’il inspirait à Dorothée le mit hors de lui, et, frémissant de colère, il scanda :

— Ainsi… ainsi… vous refusez ? Vous refusez malgré ce que j’ai surpris, malgré ce que je pourrais faire… et que je vais faire. Car enfin, les boucles d’oreilles volées, ce n’est pas seulement Saint-Quentin. Vous étiez là, dans le ravin, à surveiller son expédition. Et, tantôt, vous l’avez protégé comme un complice. Et la preuve existe, terrible, irréfutable. La boîte est entre les mains de la comtesse. Et vous osez, vous, une voleuse !…

Il tendait les bras vers elle. Dorothée se baissa, glissa le long du parapet. Mais il put lui saisir les poignets et il l’attirait contre lui, quand il lâcha prise subitement, frappé par un jet de lumière qui l’aveuglait.

Juché sur le parapet, Montfaucon lui envoyait en pleine figure la clarté d’une lampe électrique.

D’Estreicher s’écarta : la clarté le poursuivit, comme une projection habilement braquée.

— Sale gosse ! mâchonna-t-il… Je te repincerai… Et toi aussi, la petite… Si demain, à deux heures, au château, tu ne mets pas les pouces, la boîte sera ouverte en présence des gendarmes. À toi de choisir, gredine.

Il disparut dans le taillis.

Vers trois heures du matin, le guichet qui, de l’intérieur de la roulotte, donnait sur le siège, fut ouvert, comme il l’avait été le matin précédent. Une main passa et secoua Saint-Quentin qui dormait dans ses couvertures.

— Lève-toi. Habille-toi. Pas de bruit.

Il protesta :

— Dorothée, ce que tu veux faire est absurde.

— Flûte.

Saint-Quentin obéit.

Dehors, il retrouva Dorothée toute prête. À la lumière de la lune, il vit qu’elle portait en bandoulière une sacoche de toile et un rouleau de corde.

Elle le conduisit jusqu’à l’endroit du parapet qui touchait aux grilles d’entrée. Ils attachèrent la corde à l’un des barreaux et se laissèrent glisser. Puis Saint-Quentin remonta sur l’esplanade et détacha la corde.

Par la rampe, ils descendirent dans le ravin et longèrent la falaise jusqu’à la crevasse que Saint-Quentin avait escaladée la veille.

— Montons, fit Dorothée. Tu dérouleras la corde au fur et à mesure, et tu m’aideras à monter.

L’ascension ne fut pas très difficile. La fenêtre de l’office était ouverte. Ils entrèrent et Dorothée alluma sa lampe de poche.

— Prends cette petite échelle-là, dans le coin, dit-elle.

Mais Saint-Quentin, de nouveau, raisonna :

— C’est absurde. C’est fou. Nous nous jetons dans la gueule du loup.

— Va toujours.

— Mais enfin, Dorothée…

Il reçut un coup de poing dans l’estomac.

— Assez. Réponds-moi. Tu es sûr que la chambre de d’Estreicher est la dernière du couloir à gauche ?

— Sûr. D’après tes instructions, j’ai interrogé les domestiques, sans en avoir l’air, hier soir, après le dîner.

— Et tu as bien versé dans sa tasse de café la poudre que je t’ai donnée ?

— Oui.

— Donc d’Estreicher dort à poings fermés, et nous pouvons y aller carrément. Plus un mot.

En route, ils s’arrêtèrent devant une petite porte. C’était le cabinet de débarras attenant au boudoir de la comtesse.

Saint-Quentin dressa l’échelle et passa par le vasistas.

Trois minutes plus tard, il revenait.

— Tu as trouvé la boîte en carton ? lui demanda Dorothée.

— Oui, sur la table. J’y ai pris les boucles d’oreilles et j’ai remis la boîte où elle était, avec son caoutchouc.