Page:Leblanc - Dorothée, danseuse de corde, paru dans Le Journal, 1923.djvu/56

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L’Américain répondit :

— Archibald Webster, de Philadelphie.

— Archibald Webster, de Philadelphie, vous avez reçu de votre père une médaille d’or ?

— De ma mère, mademoiselle, mon père étant mort depuis longtemps.

— Et votre mère la tenait de qui ?

— De son père.

— Et ainsi de suite, n’est-ce pas ?

Archibald Webster confirma en un français excellent, et comme si un devoir impérieux l’obligeait à répondre à la jeune fille :

— Et ainsi de suite, en effet, mademoiselle. Une tradition de famille, qui remonte à une époque que nous ignorons, prétend que nous sommes d’origine française, et veut qu’une certaine médaille soit transmise à l’aîné des enfants, sans que jamais plus de deux personnes en sachent l’existence.

— Mais que signifie-t-elle, selon vous, la tradition ?

— Je ne sais. Ma mère m’a dit que la pièce d’or nous donnait droit au partage d’un trésor. Mais elle m’a dit cela en riant, et elle m’a envoyé en France plutôt par curiosité.

— Montrez-moi votre médaille, Archibald Webster.

L’Américain sortit la pièce de la poche de son gilet. Elle était exactement pareille à celle que Dorothée possédait. Mêmes inscriptions, même grandeur, même couleur éteinte. Dorothée la fit voir à Me Delarue, puis la rendit à l’Américain, et poursuivit son interrogatoire.

— Numéro deux… Anglais, n’est-ce pas ?

— George Errington, de Londres.

— Dites-nous ce que vous savez, George Errington, de Londres ?

L’Anglais secoua sa pipe, la vida et répondit, en bon français également :

— Je n’en sais pas davantage. Orphelin dès ma naissance, j’ai reçu la pièce, il y a trois jours, des mains de mon tuteur, frère de mon père. Il m’a dit que, d’après mon père, il s’agissait d’un héritage à recueillir, et que, d’après lui, tout cela n’était pas sérieux, mais que je devais obéir.

— Vous avez eu raison d’obéir, George Errington, de Londres. Montrez-moi votre médaille. Bien, vous êtes en règle… Le numéro trois. Russe, sans doute ?

L’homme à la casquette de soldat comprenait, mais ne parlait pas le français. Il présenta, avec son large sourire, un bout de papier de propreté douteuse, sur lequel étaient inscrits ces mots : Kourobelef. Guerre de France. Salonique. Guerre avec Wrangel.

— La médaille ? demanda Dorothée. Parfait, mon brave. Nous sommes d’accord. Et la médaille du numéro 4, du signor italien ?

— Marco Dario, de Gênes, répondit celui-ci en montrant sa pièce d’or. Je l’ai trouvée sur le cadavre de mon père, en Champagne, un jour où nous avions combattu côte à côte. Il ne m’en avait jamais parlé.

— Et vous êtes venu ici, cependant…

— Je n’en avais pas l’intention. Et puis, malgré moi, comme j’étais retourné en Champagne sur la tombe de mon père, j’ai pris le train pour Vannes…

— Oui, dit-elle, comme les autres, vous vous êtes soumis à l’ordre de notre ancêtre commun. Quel ancêtre ? Et pourquoi cet ordre ? C’est ce que Me Delarue, ici présent, va nous révéler. Allons, maître Delarue, tout est en règle. Nous avons tous le mot de passe. Nous sommes en droit, maintenant, de vous réclamer des explications.

— Quelles explications ? demanda le notaire, encore tout étourdi par tant de surprises. Je ne sais pas trop…

— Comment ! vous ne savez pas ! s’écria-t-elle… mais alors, pourquoi cette serviette de maroquin ?… Et pourquoi avez-vous fait le voyage de Nantes à La Roche-Périac ? Allons, ouvrez-la, votre serviette de maroquin, et donnez-nous lecture des documents qu’elle ne peut pas manquer de contenir.

— Vous croyez, en vérité ?…

— Si je crois ! Nous avons tous les cinq, ces messieurs et moi, accompli notre devoir en venant ici et en vous renseignant sur notre identité. À vous de remplir votre mission. Nous sommes tout oreilles.

La gaîté de la jeune fille suscitait autour d’elle tant de cordialité que Me Delarue lui-même en ressentait les effets bienfaisants. Somme toute, l’affaire était débrouillée. Il