Page:Leblanc - Dorothée, danseuse de corde, paru dans Le Journal, 1923.djvu/58

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George Errington, de Londres, ajouta :

— Peut-être l’histoire du trésor n’est-elle pas si absurde.

— La lettre de Me Delarue va nous le dire, déclara Dorothée.

Ainsi le moment était venu. On resserra le cercle autour du notaire. À la gaîté des jeunes visages se mêlait un peu de gravité, qui s’affirma davantage quand Me Delarue fit passer sous les yeux de tous une de ces vastes enveloppes carrées que l’on confectionnait autrefois soi-même avec une feuille épaisse. Celle-ci était d’une teinte décolorée et luisante, comme le temps seul peut en donner au papier. Cinq cachets la fermaient, rouges autrefois peut-être, composés maintenant d’une matière gris violacé que fendillaient mille petites cassures semblables à un enchevêtrement de rides. Dans le haut à gauche, la formule de transmission avait dû être repassée plusieurs fois et rechargée d’encre par les successeurs du tabellion Barbier.

— Les cachets sont bien intacts, fit observer Me Delarue. On arrive même à déchiffrer les trois mots latins de la devise…

In robore fortuna, dit Dorothée.

— Ah ! vous savez ?… demanda le notaire surpris…

— Mais oui, mais oui, maître Delarue, ce sont les mêmes que l’on retrouve sur les pièces d’or, et que j’ai retrouvés tout à l’heure, à moitié effacés, sur le cadran de l’horloge.

— Il y a là vraiment, estima le notaire, un rapport indiscutable qui relie entre elles toutes les parties de l’aventure et lui confère une authenticité…

— Ouvrez donc ! ouvrez, maître Delarue, prononça Dorothée impatiente.

Trois des cachets sautèrent. L’enveloppe fut dépliée. Elle contenait une grande feuille de parchemin brisée en quatre, et dont les morceaux tenaient si peu les uns aux autres qu’ils se séparèrent, et qu’il fallut les rassembler.

De haut en bas, et des deux côtés, la feuille de parchemin était remplie d’une grosse écriture à jambages indépendants, et qui, certainement, avait été tracée à l’aide d’une encre indélébile. Les lignes se touchaient presque, et les lettres étaient si serrées que l’ensemble donnait l’impression d’une ancienne page d’imprimerie à caractères énormes.

— Je vais lire, murmura Me Delarue.

— Et, pour l’amour de Dieu, sans perdre une seconde ! s’écria Dorothée.

Il prit un deuxième lorgnon qu’il assujettit par-dessus le premier, et il articula :

« Écrit ce jourd’hui, 12 juillet 1721…

— Deux siècles ! soupira le notaire, qui répéta aussitôt :

« Écrit ce jourd’hui, 12 juillet 1721, dernier jour de mon existence, pour être lu le 12 juillet 1921, premier jour de ma résurrection. »

Maître Delarue s’interrompit. Les jeunes gens se regardèrent d’un air stupéfait. Archibald Webster, de Philadelphie, déclara :

— Ce gentilhomme était fou.

— Le mot de résurrection est peut-être employé dans un sens symbolique, proposa Me Delarue. La suite va nous l’apprendre. Je continue :

« Mes enfants… »

Il s’arrêta de nouveau, et il dit :

— Mes enfants… C’est à vous tous qu’il s’adresse…

— Ah ! maître Delarue, s’écria Dorothée, je vous en conjure, ne vous interrompez plus ! Tout cela est passionnant.

— Néanmoins…

— Mais non, maître Delarue, les commentaires sont inutiles. Nous avons hâte de savoir ; n’est-ce pas, camarades ?

Les quatre jeunes gens l’approuvèrent vivement.

Le notaire reprit alors et poursuivit sa lecture, avec des hésitations et des redites imposées par les difficultés du texte :

« Mes enfants :

» Au sortir d’une séance de l’Académie des Sciences de Paris, à laquelle M. de Fontenelle avait bien voulu me convier, l’illustre auteur des Entretiens sur la pluralité des mondes me saisit dessous le bras et me dit :

» — Marquis, refuserez-vous de m’éclairer sur un point à propos duquel vous gardez, paraît-il, une réserve farouche ? D’où provient cette blessure à votre main gauche, ce quatrième doigt coupé à la racine même ? On prétend que vous avez laissé ce