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qué de deux amis qu’il avait amenés comme témoins, ses papiers et des actes étalés sur une serviette de cuir, tenait sa montre à la main.

— Cinq heures, dit-il, d’un ton victorieux.

Dorothée rectifia :

— Cinq heures à votre montre, peut-être, mais regardez l’horloge. Nous avons encore trois minutes.

— Et après ? fit l’usurier.

— Eh bien, trois minutes, c’est plus qu’il n’en faut pour régler cette petite facture et vous mettre à la porte.

Elle entrouvrit la pèlerine de voyage qu’elle portait, et, d’une des poches intérieures, tira une vaste enveloppe jaune qu’elle déchira et d’où elle sortit une liasse de billets de mille francs, et un paquet de titres.

— Comptez, monsieur… Non, pas ici. Ce serait un peu long, et nous avons hâte d’être seuls. Dehors.

Doucement, d’un geste continu, elle le poussa vers la cour, ainsi que les deux témoins.

— Excusez-moi, cher monsieur, mais nous sommes en famille… des cousins que nous n’avons pas vus depuis deux cents ans… et nous avons hâte d’être seuls… Vous ne m’en voulez pas, n’est-ce pas ? Ah ! à propos, vous enverrez le reçu à M. Davernoie. Au revoir, messieurs… Tenez, voici cinq heures qui sonnent à l’horloge… Au revoir. Tous mes compliments.



XVIII.

In Robore Fortuna


Lorsque Dorothée eut refermé la porte sur les trois hommes, elle vit devant elle Raoul, qui semblait irrité, et qui lui dit :

— Non, non… c’est une chose inadmissible… Vous auriez dû me consulter…

— Sur quoi ?

— Sur le paiement de cette dette.

— Ne vous fâchez pas, dit-elle doucement. J’ai voulu, avant tout, vous débarrasser du sieur Voirin. Cela nous donne le temps de la réflexion.

— C’est tout réfléchi, déclara-t-il, je considère cette affaire comme nulle.

— Je vous en prie, Raoul, un peu de patience. Remettez votre décision à demain. Demain peut-être, je vous aurai convaincu.

Elle embrassa Mme de Chagny, puis, attirant les trois étrangers, elle fit les présentations.

— Je vous amène des convives, madame. Notre cousin, George Errington, de Londres. Notre cousin, Marco Dario, de Gênes. Notre cousin Archibald Webster, de Philadelphie. Sachant que vous deviez venir ici, j’ai tenu à ce que la famille fût au complet.

Elle présenta ensuite Raoul Davernoie, le comte Octave et sa femme. Des poignées de main vigoureuses furent échangées.

— Parfait, dit-elle, nous sommes réunis comme je le désirais, et nous avons mille et mille choses à nous raconter. Raoul, j’ai revu d’Estreicher, et, comme je le lui avais prédit, il a été pendu haut et court, ce qui ne l’a pas empêché, une heure après, d’avoir la cervelle fracassée par ses complices. Les journaux en effet, ont parlé d’une barque où l’on a retrouvé le cadavre d’un homme dont le signalement correspond à celui de d’Estreicher et cet homme aurait été tué d’une balle de revolver. Donc, voilà un premier point éclairci. Autre chose : Raoul, j’ai rencontré loin d’ici votre grand-père et Juliette Azire. Raoul… Mais nous allons peut-être un peu vite en besogne. Avant tout, il y a un devoir très urgent à accomplir vis-à-vis de nos trois cousins, lesquels sont des ennemis acharnés du régime sec.

Raoul ouvrit les placards et en sortit une bouteille de Xérès et des biscuits, Tandis qu’il remplissait les verres, Dorothée se mit à raconter son expédition vers la Roche-Périac. Récit rapide, incomplet, quelque peu incohérent, où les événements n’étaient pas toujours à leur place et prenaient, le plus souvent, un air comique dont s’amusaient fort le comte et la comtesse de Chagny.

— Alors, dit la comtesse, quand elle eut fini, les diamants sont perdus ?

— Cela, répliqua-t-elle, c’est l’affaire de mes trois cousins. Interrogez-les.

Durant les explications de la jeune fille, ils étaient restés tous les trois à l’écart, écoutant Dorothée, aimables avec leurs hôtes, mais gardant une attitude distraite, comme s’ils avaient poursuivi leurs réflexions personnelles. Et ces réflexions, la comtesse elle-même devait les faire de son côté, ainsi que le comte de Chagny, car il y avait une chose qui les préoccupait tous également, et qui les empêchait tous d’être à l’aise, tant que cette chose ne serait pas éclaircie.

Ce fut Errington qui prit la parole, avant que la comtesse de Chagny lui eût posé de question, et s’adressant à la jeune fille :

— Cousine Dorothée, nous ne comprenons pas… Non, pour nous, c’est obscur, et je pense que vous ne nous trouverez pas indiscrets si nous parlons à cœur ouvert.

— Parlez, Errington.

— Eh bien, voilà… ces trois cent mille francs ?…