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nade, Marc trouva l’appartement vide et quelques tiroirs débarrassés.


III


Un état d’âme se manifeste généralement par une série d’états plus particuliers, inégaux en intensité et de durée, et dont la moyenne s’appelle joie, douleur, colère, indifférence, etc. L’état d’âme de Marc, pendant les heures qui suivirent la catastrophe, peut s’exprimer par un énorme éclat de rire.

Quoique intérieur, et non perceptible même à ses oreilles, ce rire n’en fut pas moins large, abondant, sincère, comme un rire de rapins après une charge d’atelier. Il le fut d’autant plus que la terreur antécédente avait été longue et lugubre. Ainsi, de quelque drame bizarre où les spectateurs subiraient les angoisses les plus déchirantes, s’épouvanteraient de scènes atroces, pour s’apercevoir au dénouement qu’ils furent dupes d’une mystification merveilleusement machinée. La tragédie n’était qu’une grosse farce.

D’abord la violence du coup étourdit Marc. Le prolongement de l’élan qui le maintenait en plein désespoir, depuis quelques mois, l’entraîna vers un abîme d’effroi.

— Je suis perdu, se dit-il.

Pourtant il ne le sentait pas. Alors il réfléchit, et bien des choses s’expliquèrent.

— À chaque circonstance grave de ma vie, je me dédouble, mon âme se transfère dans cet être nouveau et s’y comporte, selon les événements, au mieux de mes intérêts. Les pensées qu’il sécrète et les actes qu’il accomplit suscitent chez cet être des gestes et des