Page:Leblanc - L'œuvre de mort, paru dans le Supplément du 23 mars au 24 juin 1897.pdf/138

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

il estima qu’un choix de phrases sur la situation déblaierait utilement les abords de la route.

« Il est une comparaison que j’affectionne. Je l’emploie souvent parce qu’elle simplifie les choses. Poursuivons-la. Donc j’étais assiégé. La solidité des remparts et la qualité de mes troupes m’inspirant confiance, j’ai tenté une vigoureuse sortie. Témérairement j’ai battu les environs en quête de l’ennemi. Il a refusé le combat. Peut-être, d’ailleurs, n’existait-il que dans mon imagination. Bref, la campagne est libre. On répare les menus dégâts. Les fatigues s’apaisent. C’est le temps des labeurs fertiles. Les moissons vont germer. Le métier du tisserand ronflera. Les échanges s’opéreront. Toutefois, au sommet de la plus haute tour se tiendra l’homme aux meilleurs yeux. Il surveillera l’horizon. »

Marc se relut et avoua :

— C’est bien pompeux.

Puis, à moins de persister dans l’usage des métaphores ou de brûler immédiatement le manuscrit, ce à quoi il répugnait, il ne pouvait garder des preuves aussi irrécusables de son crime. À quoi bon, en outre, disserter sur des événements ensevelis ? Ne serait-ce point lever la pierre d’une tombe et insuffler un peu de vie au cadavre importun ?

Son embarras redoubla. Du bout de sa plume il traçait des dessins incohérents, des hachures et des quadrillages. Une angoisse l’oppressait, analogue à celle des dormeurs qui veulent courir et qui piétinent sur place. Il se figurait avoir beaucoup de choses à dire, des choses importantes dont bénéficierait le monde. Son ambition d’ail-