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triques de cette petite maison, c’est le bonheur. Il s’en avise un jour, il est heureux, et depuis longtemps. Alors c’est l’enseigne de son domaine, l’étiquette de ses actions, la devise de son existence, une marque de fabrique : « Je suis heureux. » Au-dessus de la bâtisse un drapeau de victoire flotte. Sur les murs, des affiches proclament cette béatitude.

Il est heureux. Le bonheur est son compagnon indispensable. Il s’accoutume à lui comme à un ami fidèle. À ses côtés il vieillira. Cela lui sert de tout, de toison, de pâture, de literie. Manger, boire, être heureux, autant de nécessités, de fonctions aussi importantes les unes que les autres.

Oh ! il y tient à sa conquête ! Il l’a payée au prix du crime, et il la défend, pied à pied, avec toute sa ruse, toute son intelligence, toute sa force. La petite bâtisse où il surveille son petit avoir de plaisir, il la transforme en prévision des rudes assauts ou des attaques sournoises ! Le remords ne rôde-t-il pas dans la campagne environnante ? Et c’est un château fort avec des tours et des donjons, avec des chemins de ronde, des fossés, des remparts, des mâchicoulis et nulle porte ! Là dedans il s’est enfermé. Et les sentinelles sont attentives, et les soldats obéissants, et le chef expérimenté. Les brèches se réparent, les murailles s’exhaussent indéfiniment. Peu à peu croît la sécurité, s’apaise l’angoisse, règne, en roi, le bonheur.

La chose est naturelle. À qui se barricade en soi, entoure le petit cercle où il se meut de murs et de pièges, arrête à grand renfort de talus et de digues