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de sa journée. Un tremblement fiévreux le secoua. Surtout il s’épouvantait qu’un acte pût se commettre, un crime se perpétrer, dans l’inconscience absolue de notre être. Une vitesse plus grande lui eût permis de rattraper le vieux avant le réveil subit de son esprit, qu’il l’eût poignardé à son insu.

Depuis son départ de Saint-Martin — il s’en rendit parfaitement compte — une influence obscure le guidait vers un but précis. Il avait marché d’étape en étape comme un somnambule. Par quel mystère s’était-il emparé, sans s’en apercevoir, d’un couteau, avisé sur une table d’auberge, l’avait-il caché sous son vêtement, et empoigné de sa main frémissante ?

Lentement, parmi les ténèbres lourdes, il revint. Un train de nuit le recueillit. Tout le jour il grelotta. Et durant des semaines, son âme, elle aussi, garda ce frisson de froid.

Ce fut la période la plus aiguë de sa crise. Des souffles de folie l’effleurèrent. Il se sentait tout petit devant les impitoyables fatalités, impuissant à dominer la horde des instincts qui chevauchaient en lui. Calme à telle heure, il deviendrait peut-être, l’heure suivante, parricide. Ses hallucinations le reprirent. Des cauchemars lui exposaient d’atroces aventures où son père se traînait à ses genoux, couvert de sang.

À peine songea-t-il à fuir. Il était trop tard. La lutte commencée s’achèverait ici même, que ce fût triomphe ou défaite. Mais, se donnant l’excuse mensongère de sa faiblesse, il jugea prudent d’envisager l’hypothèse du crime et, par conséquent, de le préparer de façon adroite. S’il devait tuer, qu’il tuât du moins sans inconvénient.