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mouvement : « Quel triste sire ! on croirait que je vais à l’échafaud, jambes et mains liées. »

Cette plaisanterie le fit tressaillir, et ainsi il constata qu’il tremblait de peur à l’idée des gendarmes et de tout l’appareil judiciaire. Il se méprisa, ce qui lui valut deux kilomètres de marche forcée.

Mais au petit jour, comme il entrait dans la vallée, Marc à la vue de quelques paysans se jeta dans un petit bois. Il y demeura quatre heures.

Une préoccupation dominait le désarroi de son intelligence. Désirait-il avoir réussi, ou ne le désirait-il pas ?

Il allait de l’une à l’autre de ces deux hypothèses, avec l’entêtement d’un ours qui flaire alternativement les grilles de sa cage. Et toute la matinée, il retourna indéfiniment les deux mêmes phrases.

— Admettons que le vieux soit mort. Alors, je suis un parricide, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de vil ici-bas, un être innommable, un monstre. (Il entassait les épithètes les plus outrageantes.) En outre je risque : 1o d’être guillotiné, ou 2o d’être déshérité, ou 3o d’être dévoré par les remords. Je ne vois pas là une seule chance de bonheur.

Il reprenait :

— Admettons que je sois innocent : alors je reste pauvre, la situation est la même qu’autrefois… tout un avenir de médiocrité, de rancœur, de privations… mes luttes depuis six mois, ma duplicité, mes inquiétudes, tout cela beaucoup de mal pour rien…

Des lueurs de raison lui montraient la vanité de ses dissertations. Peu importait sa préférence pour une issue ou pour l’autre, aujourd’hui que rien ne pouvait modifier celle qui avait eu lieu.