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À quelques centaines de mètres, son père était debout, alerte et vigoureux, vaquait à ses affaires, bêchait son jardin, échenillait ses arbustes, — ou bien il gisait sous terre, se décomposait se désagrégeait…

Il adopta une autre obsession plus logique : quelle attitude choisirait-il ? En cas de succès, c’était tout simple. Si souvent depuis le crime il avait arrêté, dans l’inconscient de son être, les moindres poses et les moindres phrases, qu’il savait le rôle de façon imperturbable. Mais que le vieux se dressât devant lui, vivace, insouciant, comment supporterait-il une pareille vue ?

Une petite colère l’échauffa. Il sentit que parmi les calculs de vie où notre imagination se complaît, son père ne tenait plus aucune place. L’avenir s’élaborait sans lui, il était supprimé comme un mort. Son apparition serait celle d’un fantôme.

— Je l’étranglerais pour sûr, se dit Marc nerveusement, et en plein jour, en plein village.

Cette surexcitation le renseignait. Décidément il comptait bien trouver la maison vide. Il en eut même soudain la conviction si nette qu’il s’y dirigea sans plus de retard.

Il marchait d’un pas saccadé, les jambes raides. Par crainte de discerner trop tôt quelque symptôme révélateur, il baissait la tête. Mais ses yeux inquiets regardaient de côté, et ainsi il avisa l’arbre que jadis il avait assigné comme limite à ses pérégrinations. Hypocritement il répondit à sa pensée intime :

— C’est vrai, seulement je n’aurais pas connu Aniella.

Il répétait toujours son nom, espérant par là reconstituer son image et s’y ac-