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L’ENTHOUSIASME

— Oui.

— Je m’y attendais. Depuis quelques semaines tu me parlais d’elle, et non comme de quelqu’un dont on se souvient, mais de quelqu’un vers qui l’on va. Au fond tu n’as jamais cessé d’aimer cette femme, c’est la seule que tu aies aimée.

— Je t’aimais aussi, Armande, je t’aurais aimée davantage si tu avais été moins tendue et plus humaine… oui, plus humaine. Ainsi, pour Nanthilde, tu savais, n’est-ce pas ?

— Oui, je savais.

— Pourquoi l’acceptais-lu ? pourquoi t’y es-tu prêtée ? Quand on aime, on ne supporte pas cela. Moi, je ne l’aurais pas admis de toi… ni de Nanthilde non plus, ajoutai-je à voix basse, ni de personne.

Il y avait sur le rebord de la fenêtre des pots de géranium et de réséda. D’une main distraite, elle cassait les tiges et froissait les fleurs. Ce geste de destruction me désola de sa part. Elle répondit :

— Peut-être penseras-tu autrement plus tard, ou du moins essaieras-tu de penser autrement. À l’heure actuelle, tu obéis un peu trop à tes instincts. Moi, j’ai le défaut contraire, je m’occupe trop de ceux des autres, et je tâche de m’y conformer, au risque d’en souffrir. C’est une obsession, ce respect de l’indépendance. Nanthilde te plaisait, je n’avais pas le droit de me mettre entre vous. Il me semble qu’on n’a jamais le droit d’empêcher quelqu’un… Ne crois pas à de la lâcheté, à des