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L’ENTHOUSIASME

Nos yeux, nos volontés se choquèrent. Elle rougit. De tout son esprit tendu, elle cherchait le mot de menace, de prière ou de ruse, capable de briser cette résistance. Elle eût voulu être armée d’un droit illimité sur ce fils rebelle. Mais que rouvait-elle entreprendre pour me réduire ? Elle retomba, impuissante.

Cet aveu de défaite me navra. Néanmoins je prononçai d’un ton grave :

— Une fois déjà, il y a quatre ans, tu m’as donné le même ordre, alors que j’étais heureux, et j’ai trop souffert de l’exil… Le bonheur est une chose si réelle, en moi, que quand on le détruit, c’est comme si l’on égorgeait un être vivant. Cette fois je suis résolu à me défendre contre tout le monde — même contre toi, ma mère chérie, car tu n’as pas le droit de m’empêcher d’être heureux.

— Tu m’empêches bien d’être heureuse, toi ?

Atteint à l’endroit le plus sensible de ma conscience, je protestai ;

— Comment ? je ne saisis pas…

— Crois-tu que ce soit une existence que celle que tu me fais ! Je suis dans des transes perpétuelles. Quand tu sors, je me dis : « On va le suivre, on va découvrir. Demain ce sera un nouveau scandale… » Et les insinuations de mes amies !… et tout ce que je devine de malveillance et de moquerie autour de nous, tous les potins qui circulent… Ah ! tu t’en soucies bien de mon bonheur !

— Mais, ma pauvre mère, pourquoi le places-tu