Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
156
L’ENTHOUSIASME

ou l’autre choisir entre elle et moi ? N’y avait-il pas moyen que je fusse heureux et qu’elle le fût aussi ?

Je voulus baiser ses mains : d’un mouvement brusque elle les déroba aux lèvres qui avaient caressé la femme de Philippe.

Hélas ! une heure plus tard, à table, malgré sa tristesse et le silence où tombaient mes paroles, je ne réussis point à me contenir. Le son de ma voix me semblait une provocation tellement j’en devinais les accents victorieux, et néanmoins je riais, je plaisantais pour des niaiseries. Nous arrivons bien plus aisément à négliger la douleur des autres quand nous en sommes la cause.

Geneviève revint comme elle me l’avait promis. Et je sentis si profondément qu’elle revenait parce qu’elle était incapable de ne le point faire que j’eus confiance dans l’avenir.

Des années, pensais-je, il me faudrait des années, pour m’accoutumer à l’étonnement que me causait ce prodige extraordinaire, la possession de Geneviève. Était-ce bien vrai que Geneviève m’appartînt ? À chacun de ses sourires je m’estimais engagé jusqu’à la mort. Je la contemplais d’un air surpris, avec cette conviction inexprimée, mais très nette, que personne avant moi n’avait eu l’occasion de considérer un spectacle aussi magnifique. J’étais émerveillé de sa poitrine nue et de ses bras charmants, et, tout autant que si je ne les avais jamais vus, de son cou et de sa nuque et de la nuance de ses cheveux.