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L’ENTHOUSIASME

— Comme je suis heureux ! m’écriais-je. Avant, c’étaient de petits bonheurs semblables à ceux des autres, aujourd’hui c’est le bonheur qui m’était réservé, c’est mon bonheur. Dès les premiers jours où je t’ai connue, je n’ai pas cessé d’aller vers lui, et si, parfois, j’ai mal agi, c’est que je le voyais si clairement qu’il m’empêchait de voir ce qui se passait autour de moi.

Ma vie, maintenant, reposait dans la certitude d’un acte accompli. Rien ne pouvait faire que je n’eusse pas eu Geneviève, et rien non plus que je ne l’eusse pas toujours. Pour ma part la lutte était terminée. Que le monde la continuât, je n’avais qu’à ne point m’en occuper et à suivre tranquillement mon destin favorable.

Époque bénie où tout en moi prospéra comme en une terre chérie du soleil. De mon cœur gonflé d’amour, la sève se répandait à travers mon âme, vivifiait mon intelligence et surexcitait l’énergie de mon corps. Le travail me plaisait. Chacun de mes efforts était récompensé par un résultat, pages écrites ou lues avec profit. J’aimai les heures graves et fécondes de la solitude. Un peu de sagesse me disciplina et, l’imagination satisfaite, le contentement de mes instincts dépouillant ma révolte de tout ce qu’elle avait d’intéressé, et par conséquent de mauvais, je pus asseoir mes opinions sur des bases meilleures. Elles perdirent ce caractère agressif qui les rendait insupportables. Elles ne me montaient plus au cerveau comme un vin capiteux. Plus