Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
L’ENTHOUSIASME

Bellefeuille, J’y dinai dans une salle particulière de l’auberge, en compagnie du patron, gros homme cupide avec lequel il me fut facile de m’arranger. Ma requête dut lui sembler assez bizarre, et quelque peu obscurs les motifs que je lui en donnai, mais il ne m’en promit pas moins son concours discret.

Des investigations minutieuses me retinrent toute la matinée du samedi aux abords de l’usine. Je fis bavarder deux ou trois ouvriers, et j’appris ainsi que l’on avait jasé cinq ans auparavant d’un caprice que Philippe aurait eu pour la fille d’un contremaître. Que ce fût vrai ou non, Alice Brun avait fui la maison paternelle et menait à Saint-Jore une existence irrégulière. À trois heures je frappais à la mansarde d’Alice Brun, et, vingt minutes après, j’en sortais, muni d’une lettre que Philippe avait écrite jadis à cette femme.

Le soir, je me dissimulais à Roncelet derrière les rideaux de l’auberge. Philippe viendrait-il ? Je le souhaitais, en récompense de tant de peine. Un roulement de voiture… un cabriolet traverse la place, quelqu’un en descend, c’est lui. Il s’adresse au patron qui fume devant sa porte. On sert des consommations. Les deux hommes causent. Et, à la lueur de la lanterne suspendue au-dessus de Philippe, je vois sa figure souriante pendant que l’aubergiste lui confie à l’oreille le récit de mes frasques hebdomadaires et montre du doigt les fenêtres de la salle. Je soulève le rideau. Il m’aperçoit.