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L’ENTHOUSIASME

Au hasard des pages, je lui lus ces quelques notes, écrites à différentes périodes.

« Aucune joie ne meurt en moi. Mes joies passées font partie de mon présent. Sans qu’il en tombe une seule en chemin, je les conduis toutes vers l’avenir comme un cortège d’amies qui chantent, qui rient, et qui sont si contentes que d’autres se joignent à elles. »

« J’aime presque mieux subir une peine que de manquer une joie. Je souffre moins de souffrir que de ne pas jouir. »

« Il y a des âmes dont la forme se prête à recevoir le bonheur. En la mienne nulle aspérité n’empêche la douceur du contact. La matière elle-même s’en attendrit, comme un vase qui se dissoudrait un peu pour mieux se mêler à la liqueur qu’il enferme. »

« Heureux, je ne songe jamais au malheur ; malheureux, je songe que le bonheur rôde autour de moi. Heureux, je me bouche les yeux, les oreilles, à toute sensation étrangère ; malheureux, je vis tous sens dehors, toute ma vie en état de réceptivité, afin que nulle joie ne passe à ma portée sans que je l’atteigne. »

Claire me demanda.

— Es-tu sûr qu’il faut être ainsi ?

Me rappelant les paroles d’Armande Berthier, je lui dis :

— Quelqu’un m’a déjà prévenu contre cette aptitude, et peut-être est-ce juste. Le danger, c’est