Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
L’ENTHOUSIASME

que j’ai acquis dans l’amour la notion du bonheur, et que ce bonheur-là est d’une séduction qui vous enivre.

Nos soirées avaient toujours ce même caractère de paix d’intimité qui me les rendait si précieuses. Mes meilleurs souvenirs de travail s’y rapportent, et aussi mes meilleurs souvenirs de gaîté, car nous n’étions jamais plus enfants que l’un près de l’autre.

Puis son exemple m’affermissait. À son premier essor vers la vie, le destin avait riposté par de premières déceptions, qu’elle ne m’avait avouées, conformément à sa nature, qu’après s’en être profondément imprégnée et âprement fortifiée. Je distinguais sur son âme neuve plus de blessures sérieuses que sur la mienne, et, loin de l’entourer comme moi d’une atmosphère de protection subtile, elle n’acceptait contre la souffrance que le remède d’avoir déjà souffert. Voilà ce qui vous forge une âme de métal solide ! Elle n’eût pas accepté, elle, qu’un peu de la sienne se fondit pour mieux s’allier au bonheur. Elle la voulait au contraire dure et bien trempée, lisse comme un miroir, et sonore, afin que le jour où le bonheur s’y répandrait, le bruit de chaque goutte y retentit clairement.

Malgré les événements qui l’avaient séparée du frère, elle attirait beaucoup à Saint-Jore son amie de Bellefeuille, Catherine. C’était la plus jolie créature que l’on pût rêver, pleine de grâce, débordante de sève, riche de candeurs et d’espoirs, mais en qui une imagination fiévreuse et l’excès d’indépendance