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L’ENTHOUSIASME

fauteuil ; et toi, le crétin qui te vantes de ne pas même lire un journal et d’oublier l’alphabet ; et toi qui restes ici jusqu’à l’aurore, parce que ta vieille maîtresse s’amuse avec d’autres et te défend de rentrer plus tôt ; et toi qui n’admets que la maison de tolérance, et vous tous, quels griefs avez-vous contre moi ? Examinons-les. Vous vous opposez à mon bonheur… Pourquoi ? Qu’ai-je fait selon vous ?

J’observais des fronts bas, de petits yeux inexpressifs, des regards arrêtés court, à fleur d’orbite, des bouches toujours ouvertes, comme si la peau leur manquait. C’étaient ces êtres-là, ou des êtres pareils à ceux-là, qui disposaient de mon sort. Le droit absolu que nous avons de régler notre existence comme nous l’entendons, ils nous le disputaient, à Geneviève et à moi. Ils nous divisaient par des choses plus hautes que des murailles, plus puissantes que des vérités, par des potins, par l’affirmation gratuite du mal, par des mots propagés, par des inventions de dévotes. En vertu de quelles causes obscures exerçaient-ils sur ma vie une action si décisive ? Était-ce vraiment, suivant le verdict de mère, la conséquence de fautes personnelles ?

Les joueurs d’une table voisine s’interrompirent : quelqu’un parlait de quelqu’un. Aussitôt les visages trahirent de l’intérêt. Les yeux exprimèrent tout ce qu’ils étaient capables d’exprimer. Les voix s’échauffèrent. Et je comprenais qu’il n’y avait point de plaisir comparable pour eux et pour la plupart des