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Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/229

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L’ENTHOUSIASME

gens au plaisir de s’occuper des autres. Abîmer, mordre, déchirer, égorger, approuver même, tout plutôt que de se taire sur le prochain. Et ces quatre-là y allaient de bon cœur. Et les tables voisines s’y associaient. Et l’on déposait des anecdotes, on hochait la tête, on affectait l’indulgence, on cherchait des excuses, on se lamentait : quel dommage !… une famille si honorable… êtes-vous bien sûr ?…

— Oui, êtes-vous bien sûr ? dis-je tout haut, presque involontairement

Et je repris, au milieu de l’étonnement qui avait accueilli cette apostrophe imprévue :

— Hein, le malheureux, il n’en reste pas lourd ! Ce que vous l’avez exécuté ! c’est donc bien bon de fourrer son nez dans des affaires qui ne sont pas les nôtres, d’affirmer à tort et à travers, et de conclure sans preuves, de rapporter des commérages de concierge ? Est-ce qu’on sait jamais ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas ? Alors pourquoi dire du mal ? quel drôle de besoin !

On se regardait avec stupéfaction. Puis un des joueurs battit les cartes et prononça :

— À qui de donner ?

Et l’accord fut immédiat, autour de moi : on garderait le silence, comme si mes paroles étaient non avenues. Rien ne me pouvait m’être plus désagréable. Cependant je fis bonne contenance, j’allumai une cigarette, la fumai tranquillement, et sortis, pas trop mécontent de l’aventure, au fond.