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L’ENTHOUSIASME

troublés. Quand on est jeune, on ne s’aperçoit pas plus que l’on aime qu’on ne s’aperçoit que l’on vit. Et j’apprenais tout à coup que Geneviève était la raison de mon existence, Depuis combien de temps ?

— Comme je l’aime ! ne me lassais-je pas de répéter, la tête enfouie dans mon oreiller.

Était-ce de joie ou de désespoir que je gémissais ? L’amour contient tout à l’excès, et le plus heureux des amants goûte aux pires souffrances, comme le plus malheureux se désaltère aux meilleures voluptés. C’était une explosion de tous mes sentiments et de toutes mes sensations, un élan d’orgueil, d’effroi, d’humilité, de désir et de jalousie. Je me mordais les poings à l’évocation de caresses possibles entre Philippe et Geneviève, et je riais en me rappelant la promesse et le baiser de celle que j’aimais. Je déclamai des vers, je chantai, j’ouvris ma fenêtre et confiai mon secret à la lune. Et je le disais tout haut, en articulant chacune des syllabes : « J’aime Geneviève, je l’aime. » Et j’écrivis ces mots sur des bouts de papier que je déchirai et dont les morceaux volèrent dans le grand espace.

Il n’est pas de miracle plus émouvant, il n’est pas de bienfait plus profond que l’éclosion de l’amour dans une âme jeune. Il n’y rencontre pas encore des habitudes qui le froissent, des rancunes et des déceptions qui le flétrissent. L’air est pur et, lui, il accroît cette pureté. Il féconde tout ce qu’il trouve de bon, il donne de la sève aux illusions et, quoi-