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L’ENTHOUSIASME

je buvais, je tâchais d’être un objet de scandale. Quelles corvées ! J’ai vécu là de tristes mois à m’amuser comme les autres. La piteuse attitude que la mienne sur le divan des cabinets particuliers de Saint-Jore, ou sous les fenêtres d’une fille à la porte de qui je n’osais frapper !

— Ma foi, qu’il jette sa gourme, disait grand-père d’un ton goguenard, c’est autant de gagné.

Mère trouvait bien cette dissipation un peu excessive, mais, puisque personne autour d’elle n’en prenait pas ombrage, elle se taisait, confiante en ma raison.

Un jour, chez mon libraire, j’aperçus une grande femme brune, de tournure élégante en sa simple robe noire. Je remarquai ses traits virils, son buste lourd, la lenteur de sa voix grave. D’un air intéressé, elle feuilleta, tout en causant, des revues étalées sur la table. Puis elle choisit quelques livres dans le coin des rayons réservés aux publications scientifiques et pria qu’on lui fit venir un ouvrage anglais dont elle donna le titre. Il fallait trois semaines. La voyant contrariée d’un tel retard et possédant ce volume, je m’offris, par une hardiesse inconcevable, à le lui prêter. Elle accepta, sans le moindre embarras.

Après son départ j’appris que Mme Berthier, femme d’un vieux professeur de chimie attaché depuis deux ans au collège de Saint-Jore, aidait son mari dans la préparation d’un gros ouvrage, qu’elle se chargeait de toutes les lectures préalables et que,