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L’ENTHOUSIASME

risque tout au plus de bousculer les autres en courant après sa joie, mais, plus tard, lorsque l’impatience et l’égoïsme de la jeunesse s’atténuent, c’est un principe de grande faiblesse, car on arrive à se contenter trop aisément de ce que l’on a.

Elle appelait cela mon aptitude au bonheur et s’en inquiétait. Une fois elle me dit :

— Pourquoi, en revenant du volontariat, as-tu évité cette femme que tu aimais ?

— Je ne l’ai pas évitée, elle demeure à la campagne et mère se garde bien de la faire venir.

— Mais tu pourrais y aller ? tu l’aurais vue chez elle.

— Ah ! tais-toi, m’écriai-je avec énervement.

— Pourquoi me taire ?

— Parce que… parce que tu me demandes ce que je n’ai même pas voulu me demander.

— Il faut te le demander, Pascal, il faut toujours savoir les motifs de ses actes.

Son obstination me mettait au supplice, j’essayais de me dérober, mais elle continuait :

— Voyons, pourquoi n’as-tu pas été à Bellefeuille ?

— Est-ce que je sais moi ? peut-être… peut-être ai-je eu peur de souffrir.

Elle réfléchit et prononça :

— Oui, la peur de souffrir, c’est le revers des natures trop portées au bonheur. Leur extrême sensibilité s’effare devant la peine. Et puis, chez toi, les événements ont exaspéré cette peur, tu as trop souffert là-bas en exil, et trop jeune, et après